Le théâtre arabe à Paris : un héritage vivant entre transmission, création et pensée

Le théâtre arabe à Paris : un héritage vivant entre transmission, création et pensée

Paris, carrefour des imaginaires du monde et capitale des avant-gardes artistiques, est depuis plusieurs décennies l’un des lieux où le théâtre arabe déploie ses voix les plus audacieuses. Ce théâtre, porté par des générations d’artistes, d’exilés, de penseurs et de militants culturels, ne se contente plus d’être une présence ponctuelle dans la ville : il constitue aujourd’hui une composante essentielle du paysage culturel parisien, un espace où l’Orient et l’Occident se rencontrent, s’interrogent et se nourrissent mutuellement.

Loin d’être une simple extension géographique, la présence du théâtre arabe en France est le résultat d’un mouvement profond : un héritage intellectuel, une volonté de transmission et une dynamique créative qui traversent les frontières, les langues et les générations.

Des racines anciennes : les premiers échos arabes sur les scènes françaises

Dès les années 1970, Paris s’ouvre à des voix venues d’Égypte, du Liban, de Syrie ou d’Irak. Certaines figures majeures du théâtre oriental, comme la grande comédienne égyptienne Samiha Ayoub, présentent alors des spectacles qui font découvrir au public français un répertoire riche, empreint de sensibilité sociale, de poésie dramatique et de profondeur humaine.
Ces premières rencontres ne sont pas seulement artistiques : elles ouvrent la voie à un dialogue structurel entre deux traditions théâtrales, offrant à la scène française un accès direct à des écritures qui interrogeaient déjà l’autorité, l’identité, la mémoire et la liberté.

Saadallah Wannous : un tournant historique dans la reconnaissance du théâtre arabe

L’un des moments fondateurs de cette histoire est l’arrivée à Paris d’un texte du dramaturge syrien Saadallah Wannous, figure majeure du théâtre arabe contemporain et penseur engagé dans les questions sociales et politiques du Proche-Orient.
Sa pièce Rituels pour une métamorphose, d’abord présentée au Théâtre du Gymnase à Marseille, entre ensuite dans l’histoire en étant programmée par la Comédie-Française, institution fondée en 1680 et symbole du patrimoine théâtral national.

C’est la première fois qu’un texte dramatique arabe, traduit en français, intègre le répertoire d’une scène française aussi prestigieuse.

L’œuvre de Wannous incarne parfaitement sa conviction que le théâtre est un espace de pensée critique. Pour lui, la scène devait être un lieu de lucidité, de résistance à l’oppression, de questionnement collectif et de renouveau intellectuel. Son célèbre credo — « Nous sommes condamnés à l’espoir » — résume cette vision où la création devient un acte politique autant qu’esthétique.
L’entrée de son texte au cœur du temple théâtral français a constitué un moment de reconnaissance sans précédent, révélant la capacité du théâtre arabe à dialoguer d’égal à égal avec les grandes voix de la dramaturgie occidentale.

La vitalité contemporaine : “Atrees à Paris” et l’énergie du théâtre égyptien

Cette tradition s’est prolongée avec la venue récente à Paris de Atrees à Paris, mise en scène et interprétée par Ahmed Bedir, figure emblématique du théâtre égyptien.
Présentée devant une salle comble, la pièce a rassemblé un public large et diversifié — spectateurs français, membres de la diaspora, artistes, journalistes et personnalités culturelles — confirmant la place croissante du théâtre arabe dans l’écosystème parisien.

Portée par des interprètes tels que Mohamed El Sawy, Rania Farid Shawqi, Kawtar El Baroudi et Alaa Bahi Edine, la pièce explore les illusions, les espoirs et les contradictions d’un homme partagé entre rêve et réalité.
L’ovation finale témoigne de la résonance émotionnelle de cette œuvre, capable de toucher un public lointain par des thèmes universels : l’exil, la quête d’identité, et la recherche d’un avenir possible.

L’écriture pensée comme résistance : la dramaturgie arabe publiée en France

À côté de la scène, le théâtre arabe trouve en France un espace de réflexion intellectuelle.
La publication par L’Harmattan de Al-Rajih wa Al-Muta‘adher du chercheur marocain Fahd El Kaghat, traduit en français par Mohamed Addiyouri, représente un jalon important de cette présence.
L’œuvre, inscrite dans une esthétique qualifiée de « théâtre quantique », interroge les perceptions du temps, les fractures identitaires et la multiplicité des réalités.
Son entrée dans le champ éditorial français offre aux écoles de théâtre et aux universités une ouverture nouvelle sur la pensée dramaturgique arabe contemporaine.

Une parole féminine et politique : la création du Théâtre National Palestinien – Al-Hakawati

L’une des initiatives les plus vibrantes est portée par le Théâtre National Palestinien – Al-Hakawati, invité à Paris pour présenter une adaptation forte et symbolique de L’Assemblée des femmes d’Aristophane, mise en scène par Ariane Mnouchkine et accueillie au Théâtre du Soleil.

Cette production, mêlant comédie antique et témoignages filmés de femmes palestiniennes, constitue un moment unique où le politique et le poétique se rejoignent.
Les voix projetées sur scène — celles de femmes de diverses générations — expriment leurs aspirations : égalité, justice, autonomie économique, représentation au pouvoir et transformation des mentalités.
La pièce devient ainsi un espace où les luttes contemporaines rencontrent les mythes anciens, révélant un théâtre arabe capable de porter des visions universelles.

Le théâtre comme survie : l’expérience bouleversante des frères Al Mallas

Dans un registre plus intime, mais tout aussi marquant, la pièce Les Réfugiés des frères syriens Ahmed et Mohammad Al Mallas explore les épreuves de l’exil avec humour, douleur et une humanité profonde.
Après plus de deux cents représentations clandestines à Damas, puis un périple périlleux entre plusieurs pays, les deux artistes transforment leur parcours en une œuvre où s’entrelacent satire sociale, nostalgie et désir de recommencer.
Leur phrase récurrente — « Je suis réfugié, oui… mais je suis un être humain » — devient un manifeste artistique et humain, et l’un des moments les plus marquants de la saison théâtrale parisienne.

Une nouvelle génération émerge dans les salles parisiennes

Au-delà des œuvres consacrées, Paris voit aujourd’hui apparaître une nouvelle génération de créateurs venus d’Orient.
Leurs premières tentatives, souvent présentées dans des salles indépendantes ou lors de festivals alternatifs, témoignent d’une énergie en gestation, d’un langage scénique en formation et d’une volonté d’imposer une nouvelle vision du théâtre arabe.

À travers de multiples expérimentations, ces jeunes artistes commencent à occuper une place tangible dans la cartographie théâtrale parisienne. Les contours de leurs univers ne manqueront pas de se révéler avec éclat dans les années à venir.

Conclusion : un pont culturel devenu indispensable

Le théâtre arabe à Paris n’est plus un phénomène marginal : il est devenu un acteur incontournable de la création contemporaine.
À travers les œuvres d’artistes majeurs et l’émergence d’une nouvelle génération, une évidence s’impose :

La scène parisienne ne serait pas la même sans le souffle arabe qui l’habite

Ali Al Hussein — Paris
PO4OR – Portail de l’Orient

Read more