DIVAS, ces femmes qui ont fait rayonner le monde arabe
Écrit et photographié par Eline Roussel –Beyrouth
Chanteuses, danseuses, actrices : les stars du monde arabe ont longtemps fasciné par leur élégance et leur sensualité. Mais derrière les grelots d’un déhanché et la puissance d’une voix se cachent des politiciennes, des militantes nationalistes, parfois même des espionnes. Ces femmes ont porté, influencé et transformé leurs sociétés. L’Institut du monde arabe leur consacre une exposition, et l’exporte hors de Paris, au musée Sursock de Beyrouth. Visite guidée de “DIVAS”.

Le Caire des pionnières
L’ascenseur s’ouvre au -2 : moquette et murs bordeaux, lumière tamisée, et en quelques secondes l’atmosphère opère. On entre dans une reconstitution d’un salon cairote des années 20, murs vert olive et meubles en bois vernis. En fond sonore, « La kaktuka », chant sensuel derrière lequel se cachait un message nationaliste. Toute leur stratégie tenait là : utiliser leur art et leur charme pour transmettre des messages politiques et sociaux.
Le Caire, alors épicentre culturel, devient le foyer de ces divas et le berceau des premiers mouvements féministes du monde arabe.

À la sortie du salon, on découvre les visages de ces pionnières. Badia Masabni, danseuse syro-libanaise et inventrice du sharki, ouvre une école de danse où elle recueille les jeunes femmes maltraitées pour en faire des étoiles. Parmi ses élèves, les légendaires Taheyya Kariokka et Samia Gamal, que l’on retrouve par la suite dans l'exposition. Plus loin, Rose el Youssef, actrice devenue journaliste redoutée, « elle faisait et défaisait les réputations » à coups de critiques publiées dans sa revue égyptienne. Puis vient Aziza Samir, actrice puis productrice, trop peu reconnue malgré son rôle essentiel : elle fut la femme “derrière la caméra” du premier film égyptien, Leila.
Les “golden voices” et icônes
Les lettres capitales du mot DIVAS prennent alors tout leur sens en pénétrant dans la seconde partie de l’exposition, dédiée aux icônes de la chanson arabe.
« Le monde s’arrête et écoute Oum Kalthoum. » La rétrospective retrace l’ascension de la chanteuse, née dans un village du Nil, chantant d’abord déguisée en garçon dans les mariages et cérémonies. Actrice un temps, elle devient par la suite la voix de la radio nationale. « Le soleil ne se levait pas avant la révolution ? Alors remettez Oum Kalthoum à la radio », aurait lancé Gamal Abdel Nasser. Ensemble, ils forment un duo symbolique : lui incarne le pouvoir, elle la fierté nationale et la voix d’une nouvelle Égypte. Son implication nationale devient même monétaire : en 1967, elle reverse les recettes de son concert à l’Olympia pour soutenir son pays après la guerre des Six Jours.

Difficile ensuite de ne pas s’arrêter devant Fairuz, qui célèbre aujourd’hui ses 90 ans. Icône nationale, presque sacrée, elle reste la seule à unir les Libanais au-delà des appartenances religieuses. « Elle chante pour tout le monde, et tout le monde l’aime », rappelle Maya, chargée des relations publiques du musée.
Les portraits s’enchaînent : Dalida revendiquant fièrement ses racines égyptiennes ; Samia Gamal, incarnation de la sensualité ; Warda, la voix de l’indépendance algérienne ; ou encore Asmahan, princesse druze, actrice et espionne, assassinée dans le Nil à seulement 31 ans.

Photographies d’archives, extraits audio et vidéo, costumes de scène, objets personnels… “DIVAS” dévoile non seulement des carrières exceptionnelles, mais aussi des destins souvent tragiques. Ces femmes ont fait vibrer le monde arabe bien au-delà de ses frontières et offrent encore aujourd’hui une porte d’entrée vers sa culture : intense, complexe, voluptueuse et profondément élégante.