George Kordahi : de l’âge d’or de Radio Monte Carlo à l’icône franco-orientale qui habite toujours la mémoire du monde arabe
Il est rare, dans le paysage médiatique arabe, de rencontrer une voix capable de traverser les décennies, de relier les frontières, et de conserver intacte cette élégance qui fait les grandes figures de l’audiovisuel. Issu de la génération dorée de Radio Monte Carlo Moyen-Orient — ces voix mythiques qui reliaient chaque soir l’Orient à la France à travers les ondes — George Kordahi a très tôt compris le pouvoir discret mais immense du langage. À une époque où les foyers arabes tendaient l’oreille vers Paris, sa présence derrière le micro instaurait un lien affectif et culturel d’une intensité rare.
Cette appartenance à une école radiophonique exigeante, franco-arabe par essence, façonnera plus tard toute son identité télévisuelle : sobriété, précision, respect du public, et cette autorité tranquille qui deviendra sa signature. Au fil de sa carrière, George Kordahi ne sera pas seulement un animateur ; il deviendra un pont culturel, un visage familier dans la mémoire collective, et l’une des dernières icônes d’un âge où l’élégance médiatique n’était pas un style, mais une valeur.
Il est devenu, à sa manière, le représentant d’une télévision qui valorise la connaissance, la sérénité, l’émotion contenue. Une télévision où la voix, le ton et la relation avec le public comptaient davantage que le bruit, l’exagération ou l’effet. Cette philosophie, héritée en partie de la tradition radiophonique française, restera au cœur de sa carrière.
Les débuts : l’école libanaise du journalisme
Né en 1950 à Feytroun au Mont-Liban, George Kordahi grandit dans un pays où la presse et la radio constituent des piliers de la culture publique. Très jeune, il se fait remarquer par une maîtrise rare de la langue arabe et une présence vocale qui capte immédiatement l’attention. Pendant que d’autres rêvent de télévision, lui construit sa réputation derrière le micro, forgeant ce lien intime et direct avec l’auditeur.
Lorsque la guerre éclate au Liban, Kordahi rejoint Paris. Ce n’est pas un simple déplacement géographique, mais une immersion dans un autre univers médiatique. À Paris, il découvre la discipline journalistique à la française : rigueur, articulation du discours, respect de l’auditeur, sobriété de la forme.
Cette étape parisienne deviendra le socle invisible de sa carrière future.
Paris, une école fondatrice
La capitale française n’est pas pour lui un simple refuge. C’est une école. Un lieu d’observation. Un point d’équilibre entre son identité orientale et les codes européens de la communication. La France lui offre un langage médiatique universel, intellectuel, presque littéraire qu’il adaptera plus tard à la télévision arabe.
Il garde de cette période un rapport particulier à la France : un respect profond pour la culture francophone, pour la déontologie journalistique, et pour la manière dont Paris traite la parole publique. Cette influence transparaîtra dans tous ses futurs programmes.
"Qui veut gagner des millions" : la consécration arabe d’un concept mondial
Le début des années 2000 marque un moment de bascule. Avec la version arabe de Who Wants to Be a Millionaire ?, George Kordahi passe de la notoriété au statut d’icône. L’émission devient un rituel familial dans tout le monde arabe.
Mais ce succès n’est pas dû seulement au format. Il est lié à lui — à son calme légendaire, à sa diction parfaite, à ce mélange de sérieux et de chaleur qui le distingue.
Chaque fois qu’il prononce la phrase « C’est votre dernière réponse ? », des millions de téléspectateurs retiennent leur souffle.
La France aussi remarque ce phénomène. Les diasporas arabes suivent l’émission depuis Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg. Le nom de Kordahi circule dans les cafés orientaux, les associations francophones, les écoles arabes. Sa popularité dépasse les écrans pour devenir un phénomène culturel.
L’autorité tranquille : une signature rare
Contrairement aux nouvelles générations d’animateurs qui misent sur l’exagération ou la comédie, George Kordahi choisit une voie opposée : la dignité.
Sa force réside dans sa maîtrise émotionnelle. Dans sa capacité à laisser l’espace au téléspectateur. Dans ce respect profond pour le public, hérité de la radio.
Il n’interrompt pas.
Il ne crie pas.
Il ne dramatise pas artificiellement.
Il incarne une télévision adulte.
Une admiration française discrète mais réelle
Si George Kordahi est avant tout une star du monde arabe, sa relation avec la France demeure unique. Plusieurs universités françaises, institutions culturelles et médias francophones l’invitent régulièrement pour s’exprimer sur l’audiovisuel arabe, sur la responsabilité des médias ou sur les ponts possibles entre les deux cultures.
Il représente une forme de prestige oriental qui séduit le public français : celui d’une parole posée, d’une culture profonde, d’un monde arabe qui pense, questionne et dialogue.
Parenthèse politique : un épisode révélateur
En 2021, il accepte d’occuper le poste de ministre de l’Information au Liban. Ses déclarations sur la guerre au Yémen déclenchent une crise diplomatique sans précédent, le poussant finalement à démissionner pour préserver les intérêts du pays.
Cet épisode, loin d’effacer son héritage, révèle un trait essentiel de sa personnalité : la franchise.
Kordahi n’est pas un homme de calcul. Il dit ce qu’il pense, même quand cela lui coûte.
Dans un monde médiatique souvent frileux, cette honnêteté frappe.
Une figure intemporelle dans un paysage en mutation
Avec l’avènement des réseaux sociaux, la télévision classique a perdu une partie de sa centralité. Pourtant, George Kordahi demeure.
Il reste une référence, une mémoire vivante, un visage familier dans un univers devenu volatil.
Sa présence, même silencieuse, rassure.
Elle rappelle une époque où les médias construisaient des liens, pas des divisions.
Où la parole avait un poids.
Où la voix pouvait réunir les gens.
Conclusion une voix qui demeure une icône franco-orientale
Aujourd’hui, alors que le paysage médiatique arabe s’est transformé, digitalisé, accéléré, la figure de George Kordahi continue de briller avec une constance presque nostalgique. Il demeure l’un de ces visages que l’on croit connaître depuis toujours, une présence stable dans un monde frénétique.
Et surtout, une voix — cette voix issue de l’âge d’or de Radio Monte Carlo — qui reste ancrée dans la mémoire de millions d’Arabes.
Une voix parisienne et orientale à la fois, façonnée entre Beyrouth et Paris, entre la radio française et les écrans arabes.
Une voix qui a uni les familles le soir, qui a accompagné les voyageurs, qui a tenu compagnie aux solitaires, qui a été un fil invisible entre deux rivages.
Dans la conscience du monde arabe, la voix de George Kordahi demeure aujourd’hui une icône franco-orientale : un souvenir sonore, un éclat parisien qui continue de briller dans la mémoire de l’Orient.
Texte original – Rédaction Culture, PO4OR – Portail de l’Orient