Hassan Massoudy : le maître irakien des couleurs et du souffle, entre Bagdad et Paris
Ali Al-Hussien — Rédaction PO4OR (Paris)
Il y a des artistes qui inventent un style, et d’autres qui inventent une respiration. Hassan Massoudy appartient à cette seconde catégorie.
Né à Najaf en 1944, façonné par Bagdad, révélé à Paris, il incarne l’un des plus beaux dialogues entre Orient et Occident que l’art contemporain ait connus.
Depuis plus d’un demi-siècle, il vit dans la capitale française et y compose une œuvre qui mêle poésie, lumière et calligraphie comme nulle autre.
De Najaf à Bagdad : la naissance d’un regard
Avant de devenir l’un des grands noms de la scène artistique parisienne, Massoudy a grandi dans un environnement où la calligraphie n’était pas un art, mais une présence quotidienne.
Dans l’Irak des années 1950, l’écriture était un univers esthétique à elle seule. Les souks, les librairies, les mosquées, les façades de Bagdad portaient des lettres vivantes, des courbes qui racontaient une civilisation entière.
À Bagdad, il étudie les arts plastiques et découvre progressivement que l’écriture peut dépasser la fonction, qu’elle peut devenir un espace de liberté, un terrain de recherche, un acte poétique.
Mais c’est à Paris que sa révolution esthétique va se produire.
Paris, la ville qui transforme
En 1969, Massoudy débarque à Paris, jeune, curieux, assoiffé de modernité. Il entre à l’École des Beaux-Arts, puis fréquente les ateliers de peinture, les bibliothèques, les cercles littéraires de la rive gauche.
La capitale française n’est pas seulement un lieu d’études : c’est un laboratoire.
Dans les années 1970, l’art européen se réinvente, l’avant-garde cherche des formes nouvelles, et Massoudy arrive avec ce que Paris n’a pas encore vu :
un geste venu de la tradition arabe, mais porté par une énergie résolument contemporaine.
Son travail attire vite l’attention.
L’Orient n’est plus exotique entre ses mains : il devient une matière à penser, une lumière à modeler, une architecture intérieure.
L’invention d’une esthétique hybride
La force de Massoudy réside dans un équilibre rare :
il respecte la lettre arabe mais la libère, la déploie, la pousse hors de ses frontières historiques.
La calligraphie n’est plus ici un exercice académique ; elle devient un mouvement, une émotion, un souffle.
Sa palette est éclatante :
bleus profonds, oranges brûlants, verts irréels, rouges traversés de lumière.
Les couleurs ne décorent pas les mots — elles les amplifient, les portent, les transforment en paysages.
Ses œuvres sont peuplées de fragments de poètes qu’il révère :
Rûmî, Ibn ‘Arabî, Al-Mutanabbî, Mahmoud Darwich, mais aussi Baudelaire ou René Char.
Cette cohabitation poétique est la signature de Massoudy :
faire dialoguer les deux rives de la Méditerranée dans un même souffle visuel.
Un artiste qui relie les mondes
Dans les galeries parisiennes, son style intrigue.
Paris y voit un artiste capable d’unir la rigueur du geste calligraphique oriental à la liberté du modernisme européen.
L’Occident découvre chez lui une nouvelle manière de regarder la lettre, non pas comme un signe, mais comme un espace émotionnel.
Massoudy n’oppose jamais Orient et Occident ; il les considère comme des complices naturels.
Il dit souvent que « la lettre est un pont ».
Et ce pont, il l’a construit toute sa vie.
Les grandes institutions l’adoptent
Très vite, son travail entre dans les collections majeures :
- Institut du Monde Arabe à Paris
- British Museum à Londres
- Bibliothèque nationale de France
- Collections privées en Europe et au Moyen-Orient
Son influence dépasse largement le cercle des amateurs de calligraphie.
Graphistes, typographes, décorateurs, designers et danseurs s’inspirent de son travail.
Il est devenu une référence esthétique pour toute une génération.
Massoudy et Paris : une histoire d’amour silencieuse
Paris n’est pas pour lui seulement un lieu de résidence : c’est un lieu de respiration.
Il y trouve des librairies, des musées, des ateliers, des poètes, des influences, des matières, des idées.
Le silence de son atelier parisien lui permet de transformer les mots en couleurs, les couleurs en horizons, et les horizons en émotions.
Ce lien profond entre un artiste irakien et la capitale française est l’un des plus beaux exemples de ce que peut produire l’exil choisi, l’exil créatif, l’exil lumineux.
Massoudy a fait de Paris un espace intérieur, un lieu où l’Irak retrouve une seconde vie.
Un pont entre les générations
Les jeunes artistes arabes installés en Europe voient en lui une figure tutélaire.
Il a ouvert les portes de la modernité à la calligraphie.
Avant lui, la lettre restait enfermée dans ses traditions.
Avec lui, elle devient un mouvement qui respire, une présence qui danse.
Son influence est globale.
Des écoles de design à Paris utilisent ses œuvres comme référence.
Des enseignants en art contemporain citent ses compositions.
Des architectes s'inspirent de ses formes pour concevoir des espaces fluides.
Une calligraphie qui exprime l’humain
Dans l’œuvre de Massoudy, il n’y a pas de nostalgie.
Il y a une douceur, une spiritualité, une intériorité.
Chaque courbe porte la trace d’un geste maîtrisé et en même temps libéré.
Chaque couleur est un état d’âme.
Il ne cherche pas à représenter l’Orient, il cherche à représenter l’humain.
Ses compositions, même les plus abstraites, racontent l’émotion, la paix, la recherche d’un espace intérieur où se fondent la mémoire et l’avenir.
Un maître vivant
À plus de quatre-vingts ans, Massoudy continue de travailler avec la même intensité.
Dans son atelier parisien, il accueille étudiants, visiteurs, curateurs et amoureux de la lettre.
Il transmet sans imposer, il explique sans théoriser, il éclaire sans bruit.
Son œuvre est aujourd’hui étudiée dans les écoles d’art du monde entier.
Elle constitue un jalon essentiel dans l’histoire de la modernité arabe.
Pourquoi Massoudy parle tant aux Français ?
Parce qu’il incarne ce que la France aime dans la Méditerranée :
la douceur du geste, la profondeur de la pensée, la rencontre des cultures.
Parce qu’il rappelle que la beauté peut naître d’un simple mot, d’une lettre, d’un souffle.
Paris voit en lui un messager.
Le monde arabe voit en lui un maître.
Massoudy, lui, voit seulement la lumière.