Honar Salim La caméra comme passage, le cinéma comme espace humain entre l’Irak et la France
Dans le cinéma français contemporain, certaines œuvres ne cherchent ni l’adhésion immédiate ni la reconnaissance institutionnelle rapide. Elles avancent à contre-rythme, portées par une nécessité plus profonde que la carrière ou la visibilité. Le parcours de Honar Salim appartient à cette catégorie exigeante. Cinéaste franco-irakien, il ne se situe ni dans la posture du témoignage brut ni dans celle de l’esthétisation distante du conflit. Son cinéma se construit comme un espace de passage, un lieu fragile mais essentiel où l’humain circule entre deux mondes sans jamais être réduit à une fonction symbolique.
Rien, dans son travail, ne relève d’une narration explicative destinée à traduire l’Irak pour un regard occidental. La France, pas davantage, n’y apparaît comme un horizon de légitimation ou de sauvetage. Chez Honar Salim, le cinéma n’est pas un pont décoratif jeté au-dessus des fractures géopolitiques ; il est un territoire de frottement, un espace où les corps, les silences et les gestes portent ce que les discours ne peuvent plus contenir. Cette posture confère à son œuvre une densité rare, fondée sur la retenue plutôt que sur l’emphase.
Son regard se distingue par une attention constante portée aux figures marginales, aux êtres pris dans des situations de déséquilibre où l’identité ne se proclame pas mais se négocie au quotidien. L’exil, chez lui, n’est jamais mis en scène comme une trajectoire héroïque. Il est vécu comme une condition ambiguë, faite d’attentes suspendues, de loyautés fragmentées et de choix impossibles. Cette complexité traverse ses films sans être surlignée, laissant au spectateur la responsabilité de l’interprétation.
La caméra de Honar Salim observe sans surplomb. Elle se tient à hauteur d’homme, souvent proche des visages, attentive aux respirations et aux hésitations. Le cadre n’impose pas un point de vue moral ; il accompagne des existences en mouvement, prises entre plusieurs systèmes de valeurs. Cette éthique du regard inscrit son cinéma dans une tradition humaniste rigoureuse, éloignée de toute tentation illustrative ou misérabiliste.
La France occupe, dans ce parcours, une place déterminante mais jamais centrale au sens narratif. Elle constitue un espace de production, de réflexion et de confrontation esthétique. C’est dans le cadre du cinéma français que Honar Salim affine son langage formel, adopte une rigueur de mise en scène et un rapport précis au temps du récit. Mais cette inscription ne se fait pas par effacement de l’origine ; elle passe par un dialogue silencieux entre deux mémoires culturelles qui coexistent sans se neutraliser.
Ce qui frappe dans son œuvre, c’est la manière dont l’Irak y apparaît sans être montré frontalement. Il est présent dans les regards, dans les rythmes, dans une certaine manière de filmer l’attente et la perte. Le pays n’est jamais réduit à une géographie de la violence. Il subsiste comme une mémoire active, parfois contradictoire, qui continue de façonner les comportements et les affects, même lorsque l’action se déroule ailleurs. Cette présence diffuse évite toute folklorisation et confère à ses films une portée universelle.
Sur le plan esthétique, Honar Salim privilégie une mise en scène dépouillée, presque austère, où chaque élément visuel possède une fonction précise. Les décors ne sont jamais gratuits. Les silences comptent autant que les dialogues. Le montage respecte la temporalité intérieure des personnages, refusant l’accélération artificielle ou le spectaculaire. Cette économie de moyens n’est pas un choix par défaut, mais une position artistique claire : laisser le réel respirer, accepter l’inconfort du temps long, faire confiance à la puissance des situations.
Le cinéma devient ainsi, chez lui, un véritable espace de circulation humaine. Circulation des langues, d’abord, souvent mêlées, parfois interrompues. Circulation des corps, ensuite, pris entre des lieux qui ne se laissent pas habiter pleinement. Circulation des valeurs, enfin, dans un monde où les repères moraux ne sont jamais figés. Cette dynamique confère à son travail une dimension profondément contemporaine, en phase avec les tensions du monde actuel sans jamais les réduire à un discours.
Dans le paysage audiovisuel français, Honar Salim occupe une place singulière. Il ne s’inscrit ni dans une école ni dans une tendance clairement identifiée. Son cinéma échappe aux catégories faciles, ce qui explique peut-être sa relative discrétion médiatique. Pourtant, cette discrétion constitue précisément sa force. Elle protège l’œuvre de l’usure symbolique et lui permet de s’inscrire dans la durée, loin des effets de mode.
Le portrait de Honar Salim s’impose par la nature même de sa démarche artistique. Non comme une illustration commode de la diversité, mais comme l’examen attentif d’un cinéma qui assume une responsabilité éthique et esthétique. Son travail rappelle que le dialogue entre les cultures ne se construit ni par la simplification ni par l’émotion spectaculaire, mais par une écoute lente, rigoureuse, parfois inconfortable, où l’image accepte de ne pas tout résoudre.
Ce que son cinéma propose, au fond, c’est une autre manière d’habiter le monde. Une manière qui accepte la complexité, refuse les réponses toutes faites et place l’humain au centre du cadre. Dans une époque saturée d’images spectaculaires et de récits formatés, cette posture constitue un acte fort. Elle réaffirme le cinéma comme un art du temps, de l’attention et de la relation.
Honar Salim n’utilise pas la caméra pour expliquer l’Irak à la France, ni la France à l’Irak. Il crée un espace tiers, fragile mais essentiel, où les expériences humaines peuvent circuler sans traduction forcée. C’est dans cet entre-deux que son œuvre trouve sa nécessité et sa portée. Un cinéma qui ne cherche pas à convaincre, mais à faire éprouver. Un cinéma qui ne ferme pas les fractures, mais les rend habitables.
Bureau de Paris – PO4OR.