L’Irak au Louvre : une civilisation qui continue de respirer dans les salles de Paris
.Il suffit de parcourir les longues galeries du Louvre pour comprendre que ce musée n’est pas seulement un temple de la beauté, mais aussi une immense archive du monde. Parmi les œuvres venues des quatre horizons, certaines portent une aura singulière : ce sont les pièces issues de l’ancienne Mésopotamie, ce territoire qui correspond aujourd’hui à l’Irak. Dans le département des Antiquités orientales, ces vestiges majestueux racontent l’histoire d’une civilisation qui a vu naître l’écriture, la ville, le droit, la littérature et la pensée politique. Leur présence à Paris interroge autant qu’elle fascine. Comment ces trésors ont-ils quitté leur terre d’origine ? Pourquoi occupent-ils une place si centrale dans le plus prestigieux musée du monde ? Et que disent-ils encore aujourd’hui de l’humanité et de la mémoire des peuples ?
L’histoire commence au XIXᵉ siècle, dans une Europe avide de découvertes archéologiques et en pleine révolution intellectuelle. En 1843, Paul-Émile Botta, consul de France à Mossoul, entreprend des fouilles dans le nord de l’Irak. C’est là, à Khorsabad, qu’il met au jour les vestiges monumentaux de Dur-Sharrukin, capitale du roi assyrien Sargon II. Les sculptures colossales, les bas-reliefs en pierre, l’urbanisme raffiné de la cité et les fameux taureaux ailés bouleversent immédiatement la perception que les savants européens avaient de l’Assyrie. Jusque-là, la civilisation assyrienne était surtout mentionnée dans les textes religieux ; les fouilles de Botta lui donnent un visage, une matière, une présence spectaculaire.
Les missions françaises se multiplient dans les décennies suivantes. Girsu, Ninive, Tello et d’autres sites deviennent des terrains d’exploration pour les archéologues. À une époque où le partage des découvertes était une règle reconnue internationalement, une partie des pièces rejoint Paris tandis que d’autres restent sur place. Ainsi se constitue l’un des ensembles les plus anciens du Louvre, consacré à l’Orient ancien. Ce département devient rapidement une référence mondiale pour l’étude de la Mésopotamie, et les chefs-d’œuvre rapportés d’Irak participent à la naissance de l’assyriologie moderne.
Dans les salles du Louvre, les lamassu imposent leur présence majestueuse. Ces créatures hybrides, mi-hommes mi-taureaux pourvus d’ailes, gardaient autrefois les portes royales. Leur sculpture puissante impressionne par son équilibre parfait entre force, spiritualité et maîtrise artisanale. Le visiteur qui se tient face à eux ressent une forme de solennité silencieuse, comme si ces géants de pierre continuaient de veiller sur un royaume disparu. Les bas-reliefs qui les entourent prolongent cette atmosphère. On y voit des scènes de chasse, des processions religieuses, des batailles, des récits mythologiques. Chaque détail est taillé avec une précision presque contemporaine.
Un peu plus loin, la Stèle des Vautours offre un autre voyage dans le temps. Issue de la cité sumérienne de Girsu, elle représente une victoire militaire et est considérée comme l’un des premiers récits historiques gravés dans la pierre. Son style simple et direct contraste avec la puissance des œuvres assyriennes, mais il rappelle la profondeur d’un monde où l’écriture et l’art servaient à célébrer le pouvoir et à organiser la mémoire collective.
Dans les vitrines, des tablettes d’argile couvertes d’écriture cunéiforme racontent un autre aspect de la grandeur mésopotamienne. Ce sont les premiers documents administratifs, juridiques, économiques ou religieux de l’histoire humaine. En les observant, on comprend que la Mésopotamie ne fut pas seulement une terre de rois et de palais, mais aussi une société structurée par le droit, la gestion, la pensée rationnelle et la transmission des savoirs. L’écriture y naît comme un outil de gestion avant de devenir un moyen d’expression littéraire.
Ces œuvres ne forment pas simplement un chapitre du passé. Elles montrent que la civilisation mésopotamienne demeure l’un des piliers de la culture mondiale. Le Louvre, en leur donnant un espace privilégié, affirme que l’Irak occupe une place essentielle dans le récit universel de l’humanité. Cette présence corrige aussi certaines visions réductrices. L’Irak, souvent associé dans l’actualité aux conflits et aux crises, se révèle ici comme un foyer de création, d’intelligence et d’invention.
La question de la légitimité de la présence de ces pièces en France suscite parfois des débats. Certains plaident pour un retour des œuvres vers leur terre d’origine. D’autres avancent qu’elles ont été préservées grâce aux musées occidentaux, en particulier durant les périodes de guerre où de nombreux sites archéologiques ont été gravement endommagés. Il est vrai que la situation historique est complexe. La plupart des pièces sont arrivées au Louvre selon les cadres légaux de l’époque, souvent sous l’autorité de l’Empire ottoman. Aujourd’hui, le dialogue entre la France et l’Irak se concentre davantage sur la coopération scientifique, la documentation et la préservation du patrimoine.
Ce qui domine, néanmoins, c’est l’émotion que ces œuvres suscitent. Pour les visiteurs occidentaux, elles ouvrent une fenêtre sur un Orient ancien, riche et lumineux. Pour les visiteurs originaires d’Irak, elles incarnent un lien profond avec une histoire qui leur appartient. Elles représentent un fragment de mémoire sauvé du temps, un témoignage intact d’un passé que rien n’a pu effacer. À travers elles, la Mésopotamie continue de vivre, de dialoguer et de toucher ceux qui la découvrent.
La force de ces pièces réside dans leur capacité à traverser les époques. Elles parlent du rapport de l’humanité au pouvoir, à la beauté, à la mort, à la mémoire. Elles rappellent que toute civilisation, même la plus puissante, est vulnérable, mais que sa trace peut traverser les siècles lorsqu’elle est portée par l’art. Le Louvre assume ce rôle avec une rigueur scientifique et une sensibilité esthétique qui honorent ces héritages.
En quittant les salles où se dressent les œuvres d’Irak, le visiteur emporte souvent un sentiment de respect et d’admiration. Ces pierres immobiles semblent contenir encore un souffle, une lumière, une histoire qui ne cesse jamais de se raconter. Elles prouvent que l’humanité ne perd jamais vraiment les civilisations anciennes. Elle les transporte, les interprète, les transmet. Et à Paris, cette transmission prend une intensité particulière.
Article rédigé et préparé par le Bureau éditorial de Paris – PO4OR
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