Michel Vautrot : l’arbitre français devenu légende du football arabe et acteur humanitaire au cœur du Levant

Figure majeure de l’arbitrage français, Michel Vautrot a marqué le Moyen-Orient par son sens de la justice, avant d’y revenir en homme de transmission et de solidarité.
Il existe des trajectoires qui défient les frontières et le temps, des destins qui lient la France au monde arabe par des chemins inattendus. Michel Vautrot appartient à cette catégorie rare. Né en 1945 dans un hameau tranquille du Jura, il ne semblait promis ni aux grandes scènes du football mondial ni aux engagements humanitaires qui, plus tard, l’amèneraient jusqu’aux portes de la Syrie. Pourtant, de la Franche-Comté aux stades du Golfe, et de la Coupe du monde au camp de Zaatari, son nom n’a cessé de voyager, porté par une autorité calme et un humanisme silencieux.
Son entrée dans l’arbitrage, à dix-huit ans, relève presque du hasard. Jeune homme souvent dispensé de sport en raison d’une santé fragile, il observe le jeu avant de l’ordonner. Son regard, déjà précis, saisit l’essentiel. Très vite, les instances françaises détectent en lui un talent singulier, une aptitude rare à imposer le respect sans hausser la voix. Dans les années 1970 et 1980, il devient l’un des visages les plus reconnaissables du football français. Sa silhouette se détache sur les terrains, son sifflet ponctue les matchs les plus tendus, sa capacité à garder le contrôle dans les moments de fièvre impressionne autant les joueurs que les spectateurs.

En France, il dirige des centaines de rencontres de Division 1 et un nombre historique de finales de Coupe de France. Sur la scène mondiale, il arbitre les Coupes du monde 1982 et 1990, où son sens du jeu et son flegme font de lui une référence internationale. En 1988 puis en 1989, il est élu meilleur arbitre du monde, tandis que la République française le distingue plus tard de la Légion d’honneur. Mais au-delà des hommages officiels, une plaque bleue rivée sur un mur du Jura résume peut-être mieux ce qu’il représente : Place Michel-Vautrot, à Dampierre. Une inscription modeste mais durable, à l’image de l’homme.
Si la France lui doit une partie de son histoire sportive, c’est pourtant dans le monde arabe que Vautrot a laissé l’empreinte la plus vive. Dans les années 1980, alors que la région vit une effervescence footballistique sans précédent, il devient l’arbitre étranger le plus respecté du public arabe. On le voit à Riyad, à Doha, à Koweït City, à Mascate, dans des compétitions où chaque rencontre a la force d’un rendez-vous national. Son nom circule sur les ondes, dans les cafés, dans les tribunes. Les supporters reconnaissent sa manière de calmer une tension par un geste, son regard qui suffit à ramener l’ordre, son refus du théâtre et de l’excès.
L’un des épisodes les plus marquants de cette histoire partagée reste la rencontre décisive entre l’Irak et la Syrie en 1986, disputée à Damas dans le cadre des qualifications pour la Coupe du monde. Ce soir-là, le contexte politique est plus lourd que le poids du match lui-même. Les deux pays vivent une rupture idéologique profonde, et le stade reflète cette tension sourde. Pourtant, sous les caméras et les regards anxieux, Vautrot conduit la partie vers son terme avec un calme presque irréel. Ses décisions, parfois contestées, demeurent fermes. Sa présence, discrète mais déterminée, évite l’embrasement. Des décennies plus tard, Syriens et Irakiens se souviennent de cet arbitre français qui sut préserver le jeu au cœur d’une fracture politique. Ce match, devenu épisode de mémoire, a scellé son statut de figure respectée du football levantin.
Mais le lien entre Michel Vautrot et le Moyen-Orient ne s’arrête pas à la pelouse. Après sa carrière internationale, alors que beaucoup se seraient retirés dans le confort d’une vie tranquille, il accepte une mission inattendue : se rendre au camp de Zaatari, en Jordanie, l’un des plus grands camps de réfugiés syriens au monde. Guidé par la fondation UEFA For Children et soutenu par le prince Ali ben Al Hussein, il se lance dans une aventure humaine qui dépasse le cadre du sport. Le camp, aujourd’hui peuplé d’environ 80 000 personnes, dont plus de la moitié sont des enfants, ressemble à une ville née de la nécessité. Les rues portent des noms symboliques comme « Champs-Élysées » ou « rue de la justice », et l’air chaud du désert transporte les rires et les blessures d’une population qui tente de se reconstruire.
Vautrot y arrive sans protocole, avec l’idée que le football peut redevenir un espace d’ordre là où la vie a perdu le sien. Il accompagne des entraîneurs, encourage des jeunes filles à devenir arbitres, organise des tournois sur le bitume brûlant, partage les repas assis au sol et écoute les récits de ceux qui ont traversé la guerre. Pour lui, il ne s’agit pas de politique. Il s’agit de montrer aux enfants cabossés par les combats que le jeu ne s’invente pas sans règles, que la justice sportive peut être un premier pas vers la réparation. Il se souvient d’un mariage auquel un habitant l’invite, moment suspendu dans un lieu où la fragilité et la joie coexistent. Il se souvient aussi de ce sentiment d’attachement profond, presque viscéral, à ceux qu’il rencontrait chaque jour.
Cette immersion en Jordanie, prolongée par une visite au camp d’Azraq, révèle un autre Vautrot, éloigné de la FFF, de la LFP, et des grandes scènes européennes. Un homme qui a choisi de prolonger sa trajectoire sportive par un geste humanitaire, comme si son rôle de médiateur sur les terrains s’était naturellement transformé en rôle de passeur entre les mondes. Son parcours raconte l’histoire d’un Français dont le sifflet a résonné d’abord dans les stades du Golfe, avant de résonner, autrement, dans les ruelles poussiéreuses de Zaatari.
Il y a dans la vie de Michel Vautrot une cohérence silencieuse. Celle d’un homme qui n’a jamais cessé de croire au pouvoir du jeu, que ce soit pour apaiser la tension d’un match irako-syrien en 1986 ou pour redonner espoir à des enfants déplacés. Entre le Jura, le Moyen-Orient et les souvenirs d’un football arabe en pleine ébullition, il demeure une figure singulière : un arbitre devenu symbole, un Français devenu familier du Levant, un professionnel devenu témoin de l’humanité à l’œuvre.
Ali Al-Hussien – PO4OR, Portail de l’Orient