Nadine Labaki : La cinéaste franco-libanaise qui a ouvert la porte du monde par le regard de l’Orient
Il est des artistes qui ne franchissent pas les frontières : ce sont les frontières qui se déplacent vers eux. Nadine Labaki appartient à cette catégorie rare. Réalisatrice, actrice, scénariste et symbole d’un cinéma arabe moderne, elle incarne à la fois le Liban et la France, l’intimité de l’Orient et la clarté de l’Occident. Franco-libanaise par sa vie et par son œuvre, elle n’a cessé de construire un pont entre deux sensibilités : la ferveur et la mesure, la tendresse et la lucidité.
Née à Baabdat, au Liban, en pleine guerre civile, Nadine Labaki grandit dans un pays où l’art est à la fois un refuge et une résistance. Très tôt, elle découvre la force de l’image, ce langage silencieux qui peut dire ce que les mots ne savent plus. Après des études en communication audiovisuelle à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, elle réalise son premier court-métrage, 11 Rue Pasteur, primé à la télévision libanaise. Cette première reconnaissance la mène à Paris, où elle découvre le cinéma français et le raffinement d’une écriture visuelle nourrie de vérité.
Son premier long-métrage, Caramel (2007), est un choc doux. Tourné à Beyrouth avec des actrices non professionnelles, le film dépeint la vie de cinq femmes entre désir, frustration et liberté, dans un salon de beauté transformé en microcosme du monde arabe. Ce n’est pas un film sur la guerre, ni sur la religion, ni sur la politique : c’est un film sur les femmes, leurs secrets, leurs rires, leurs blessures. Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, Caramel conquiert la critique française. Le public découvre un autre Liban, lumineux, sensuel, profondément humain. La presse parisienne la compare à Pedro Almodóvar pour sa manière d’aborder la féminité avec humour et compassion.
Labaki devient dès lors une figure d’un nouveau cinéma oriental : un cinéma intime et universel. Elle s’installe entre Beyrouth et Paris, et commence à tisser une relation privilégiée avec la France, qui voit en elle la représentante d’un Orient moderne, créatif, apaisé. En 2011, avec Et maintenant, on va où ?, elle approfondit son approche poétique des conflits. Dans un village isolé, des femmes musulmanes et chrétiennes s’unissent pour empêcher la guerre. Ce film, à la fois allégorie et fable, est un cri d’amour adressé à son pays, mais aussi au monde. Il est distribué en France par Pathé et applaudi dans toute l’Europe.
C’est pourtant avec Capharnaüm (2018) que Nadine Labaki franchit définitivement les frontières. Produit en partie par des partenaires français, le film est une fresque sociale d’une intensité rare. Il suit le parcours d’un enfant des rues, Zain, qui poursuit ses parents en justice pour l’avoir mis au monde. Le film, tourné dans les quartiers pauvres de Beyrouth avec des acteurs non professionnels, bouleverse Cannes. Il reçoit le Prix du Jury, présidé alors par Cate Blanchett, et devient le premier film libanais à être nommé aux Oscars et aux César. Pour la France, c’est une révélation : derrière la douceur de Caramel, il y avait une réalisatrice d’une puissance politique et morale exceptionnelle.
Depuis, Nadine Labaki est entrée dans le cercle restreint des grandes voix du cinéma mondial. Elle parle aujourd’hui un français fluide, mais garde dans sa diction une musicalité arabe qui fait partie de son identité. Dans les festivals, elle incarne l’idée même du dialogue entre les cultures. Quand elle s’exprime sur une scène européenne, son ton est calme, mais ses mots sont habités d’une chaleur qui dépasse les traductions. Elle dit souvent : « Je ne cherche pas à représenter le Liban, je cherche à représenter les gens. »
Cette simplicité est la clé de son universalité.
Labaki ne revendique pas une double appartenance, elle la vit naturellement. En France, elle est célébrée comme une auteure majeure. Dans le monde arabe, elle est perçue comme une pionnière et un modèle. Et dans les deux sphères, elle reste profondément libre. Elle refuse de choisir entre Orient et Occident parce que, dans son cinéma, ils se parlent déjà.
Ce qui fascine dans son parcours, c’est cette manière de transformer la fragilité en force. Elle tourne avec peu de moyens, souvent dans des contextes difficiles, mais chaque plan respire la beauté. Son cinéma est populaire sans être commercial, poétique sans être abstrait. Il parle d’amour, d’enfance, de douleur, de pardon. Il est profondément arabe et naturellement universel.
Dans la presse française, on dit souvent que Nadine Labaki a « ouvert la porte du monde par la France ». C’est vrai : la France fut sa première scène, son premier écho international. Mais cette porte n’était pas un passage unique, c’était une rencontre. Car à travers elle, c’est l’Orient tout entier qui a trouvé une voie nouvelle pour dialoguer avec l’Occident, sans complexe et sans effacement.
Aujourd’hui, Labaki continue à écrire et à tourner entre Paris et Beyrouth. Elle prépare de nouveaux projets sur l’exil, la mémoire et la reconstruction. Elle s’intéresse aussi à la formation de jeunes cinéastes arabes et à la place des femmes dans le cinéma mondial. Son nom est régulièrement cité dans les jurys de festivals européens, preuve que sa parole compte désormais autant que ses films.
Pour PO4OR – Portail de l’Orient, Nadine Labaki n’est pas seulement une artiste accomplie : elle est une passerelle vivante. Son œuvre raconte ce que la revue elle-même incarne : la rencontre des mondes, la beauté du dialogue, la puissance tranquille de la création. Elle rappelle que l’art, lorsqu’il est sincère, devient un territoire sans frontière, un espace de réconciliation entre la mémoire et le futur.
À travers elle, c’est un Orient moderne, francophone et féminin qui s’adresse au monde.
Et la France, qui fut longtemps un regard posé sur l’Orient, découvre à son tour le bonheur d’être regardée par lui.