"Oiseau d’Orient" : un hommage pictural aux génies égyptiens qui ont façonné le dialogue entre Le Caire et Paris
Le Centre Culturel Égyptien à Paris accueille l’exposition "Oiseau d’Orient" de l’artiste et caricaturiste Amr Fahmi, une traversée visuelle ambitieuse qui met en lumière les grandes figures égyptiennes dont les parcours intellectuels et artistiques se sont écrits entre les rives du Nil et celles de la Seine. À travers une série de portraits, l’artiste construit un récit où l’histoire, la mémoire et la création contemporaine s’entrelacent pour raconter cette relation singulière entre l’Égypte et la France, une relation faite de voyages, d’études, d’influences croisées et de renaissances personnelles.

Un voyage pictural aux racines profondes
L’exposition s’ouvre sur le portrait de Mohamed Ali Pacha, considéré comme le fondateur de l’Égypte moderne. Visionnaire et réformateur, il comprend très tôt que le progrès passe par la connaissance et par l’ouverture vers l’Europe. C’est sous son impulsion que des missions d’étudiants égyptiens sont envoyées en France, jetant les bases d’un mouvement intellectuel qui transformera l’Égypte du XIXe et du XXe siècle. Ce choix stratégique, représenté avec force et nuance dans le tableau d’Amr Fahmi, constitue la porte d’entrée idéale vers l’ensemble du parcours exposé : celui d’hommes et de femmes qui ont traversé la Méditerranée pour apprendre, puis revenir enrichir leur pays.
Le portrait de Mohamed Ali inscrit ainsi l’exposition dans une profondeur historique, rappelant que le dialogue entre les deux pays n’est pas une rencontre fortuite, mais un projet ancien, voulu, structuré et fécond.
Ahmed Rami : un trait entre Le Caire et la Sorbonne
Parmi les figures célébrées, celle du poète Ahmed Rami occupe une place particulière. L’artiste lui consacre un tableau où se mêlent élégance, sobriété et une forme de mystère qui caractérise les grandes destinées littéraires.
Rami publie son premier recueil en 1918, puis un second en 1920. Très vite, son talent est reconnu et il obtient une bourse pour étudier à Paris en 1922. À la Sorbonne, il se forme aux langues orientales, à la bibliothéconomie et aux sciences de la documentation. C’est là qu’il perfectionne sa maîtrise du persan, qui l’amènera à traduire les "Rubâ’iyyât de Khayyam", l’une des œuvres les plus influentes de la poésie universelle. Sa traduction devient une référence dans le monde arabe.
Dans l’interprétation qu’en donne Fahmi, Rami apparaît comme un passeur. Son regard, posé au loin, semble traverser le temps et l’espace. Le peintre capte à la fois l’intelligentsia égyptienne du début du siècle et la lumière parisienne qui nourrit l’imaginaire de Rami. Les deux mondes se superposent dans l’œuvre, créant une atmosphère hybride, propre à ces existences qui appartiennent à plusieurs cultures.
Le trait d’Amr Fahmi : entre classicisme et modernité
L’une des forces de l’exposition réside dans la capacité d’Amr Fahmi à manier deux langages artistiques en apparence opposés :
- le classicism des techniques picturales traditionnelles,
- et la modernité incisive du dessin satirique.
L’artiste travaille principalement à l’huile, sur toile, avec une palette de couleurs subtile et maîtrisée. Ses portraits, pourtant ancrés dans une facture classique, portent la marque d’un esprit d’observation propre aux caricaturistes : un détail accentué, une ligne exagérée, un geste amplifié. Il explique d’ailleurs :
"Le caricature n’est pas une déformation, mais une exagération artistique. C’est ma vision personnelle de la figure que je représente."
Cette phrase résume l’essence de son approche : une volonté de capter l’essence, non la simple ressemblance. Fahmi ne caricature pas pour déformer ; il caricature pour révéler. Le résultat est un ensemble de portraits expressifs, parfois drôles, souvent mélancoliques, toujours profondément humains.
Entre Orient et Occident : une géographie sensible
L’exposition "Oiseau d’Orient" permet également de lire l’œuvre d’Amr Fahmi comme un pont entre deux mondes. Les personnages représentés — artistes, écrivains, chercheurs, intellectuels — incarnent cette circulation permanente du savoir qui caractérise l’histoire moderne de l’Égypte.
La Méditerranée, dans cette perspective, n’est plus une frontière mais une route. Une route que l’artiste représente comme un espace de rencontres, de métissages, de créations nouvelles.
Les tableaux témoignent d’une géographie sensible où chaque portrait porte en lui un fragment de l’Égypte et un fragment de la France. Paris apparaît souvent en arrière-plan, non pas comme décor, mais comme lieu initiatique. Les rues, la Sorbonne, les bibliothèques, les ateliers : tout cela semble se tisser dans les visages des personnages.
Un parcours international marqué par le dialogue culturel
L’exposition parisienne d’Amr Fahmi ne constitue pas un événement isolé. Elle s’inscrit dans un cycle international qui a débuté à l’Académie des beaux-arts de Rome, s’est poursuivi à Londres, puis a pris une dimension mondiale au siège des Nations Unies à New York.
À New York, l’artiste expose des portraits de figures universelles : Anwar el-Sadate, Boutros Boutros-Ghali, Mohamed Salah, William Shakespeare, Leonardo da Vinci, Oprah Winfrey. Autant d’icônes qui, chacune à leur manière, ont marqué l’histoire de l’humanité.
Ce parcours reflète la volonté de Fahmi d’inscrire son travail dans une dynamique de paix, de coexistence et de compréhension mutuelle. Il confie :
"Nous sommes tous un. Chacun cherche la paix à sa manière ; moi, je la cherche avec mes couleurs et mes lignes."
"Oiseau d’Orient" : célébrer ceux qui ont traversé les frontières
L’exposition rend hommage aux chercheurs, écrivains, traducteurs, artistes et penseurs égyptiens qui ont fait du voyage un acte fondateur.
"Oiseau d’Orient" n’est pas seulement une exposition de portraits : c’est une cartographie émotionnelle. Celle d’hommes et de femmes qui ont franchi la Méditerranée, qui ont appris, douté, rêvé, puis transmis.
Chaque toile porte l’empreinte de ce mouvement.
Chaque regard suggère une histoire.
Chaque trait rappelle que les génies naissent quelque part, mais appartiennent au monde.
Avec cette exposition, Amr Fahmi redonne sens à l’idée même du voyage intellectuel. Paris devient un lieu de passage, un espace de révélation. Le Caire reste un point d’ancrage. Entre les deux, il y a le chemin : un chemin que l’artiste peint avec tendresse, humour, admiration et une profonde conscience historique.
"Oiseau d’Orient" apparaît ainsi comme une ode à la mémoire, à la transmission et à cette lumière que les destins exceptionnels laissent derrière eux. Et si l’art est un pont, alors les tableaux d’Amr Fahmi sont sans doute l’un de ses passages les plus lumineux.
Rédaction et édition : Bureau Général – Paris
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