Omar Sharif et le cinéma français
Par Ali Al-Hussien – Magazine PO4OR
Introduction
Figure emblématique du cinéma mondial, Omar Sharif (1932-2015) a marqué l’histoire du septième art par son charisme, sa polyvalence linguistique et son aura universelle. Né à Alexandrie et révélé par le cinéma égyptien, il a su franchir les frontières culturelles pour devenir une star internationale.
Si Hollywood l’a consacré avec Lawrence of Arabia (1962) et Doctor Zhivago (1965), la France a également joué un rôle essentiel dans sa carrière. Sharif y a trouvé un espace artistique où il pouvait exprimer une dimension plus intime et humaniste de son talent.
Les débuts franco-arabes : Goha (1958)
Le film Goha, réalisé par Jacques Baratier, constitue la première collaboration d’Omar Sharif avec une production française. Tourné en Tunisie, le film est une fable poétique inspirée du folklore oriental.
Présenté au Festival de Cannes 1958, il remporte le Prix du Jury, et révèle Sharif au public européen comme un comédien au regard magnétique et à la présence singulière.
C’est déjà, d’une certaine manière, la naissance du “pont” entre l’Orient et l’Occident — un thème qui traversera toute sa carrière.
Les années 60–70 : l’âge d’or de la coproduction
Après son triomphe à Hollywood, Sharif multiplie les tournages en Europe, et notamment en France :
- Mayerling (1968, coproduction franco-britannique) : il y incarne le prince héritier Rodolphe face à Catherine Deneuve, dans une adaptation luxueuse et tragique du drame historique austro-hongrois.
Sa performance y conjugue intensité romantique et élégance aristocratique. - Le Casse (The Burglars, 1971, France-Italie, réalisé par Henri Verneuil*) : Sharif donne la réplique à Jean-Paul Belmondo dans un polar nerveux et spectaculaire tourné à Athènes.
Ce film, grand succès populaire, assoit sa notoriété dans le cinéma d’action européen.
À cette époque, Omar Sharif devient une figure cosmopolite : il tourne en anglais, en italien, en français, passant d’un plateau à l’autre avec la même aisance.
Le retour à la France et la consécration tardive : Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran (2003)
Quarante-cinq ans après Goha, Sharif retrouve la langue française dans un film profondément humaniste, adapté du roman d’Éric-Emmanuel Schmitt.
Il y interprète Monsieur Ibrahim, un épicier soufi du quartier populaire de la rue Bleue à Paris, qui devient le mentor d’un adolescent juif solitaire.
Ce rôle lui vaut une reconnaissance exceptionnelle :
- César du Meilleur Acteur (2004), l’un des plus grands honneurs du cinéma français.
- Prix d’interprétation dans plusieurs festivals européens.
Sharif livre ici une interprétation pleine de sagesse, de tendresse et de spiritualité — un écho à sa propre trajectoire entre Orient et Occident.
Thèmes et symboliques
Les œuvres françaises de Sharif ne sont pas seulement des films : elles incarnent une réflexion sur le dialogue des cultures, la tolérance et l’universalité de l’art.
- Dans Goha, il représente la sagesse populaire de l’Orient.
- Dans Mayerling, il incarne la passion tragique européenne.
- Dans Le Casse, il devient un antihéros moderne.
- Dans Monsieur Ibrahim, il réconcilie toutes ces identités en une figure lumineuse de paix intérieure.
Omar Sharif y construit une passerelle cinématographique entre deux mondes – le monde arabe et la France – préfigurant ce que l’on appelle aujourd’hui la “méditerranée culturelle”.
Héritage et influence
L’influence de Sharif sur le cinéma français dépasse ses propres films. Il a ouvert la voie à plusieurs générations d’acteurs arabes et orientaux cherchant à s’intégrer dans le paysage européen.
Son image d’homme élégant, cultivé et multilingue a contribué à modifier le regard de la France sur le monde arabe, en mettant en avant une identité ouverte, humaniste et universelle.
De nombreux critiques considèrent Monsieur Ibrahim comme son testament artistique : un message de fraternité et de dialogue interreligieux qui résonne encore dans la société française contemporaine.
Conclusion
Omar Sharif demeure une icône intemporelle du cinéma mondial.
En France, il n’a pas seulement tourné quelques films : il a incarné un idéal de rencontre et de compréhension mutuelle.
Son parcours illustre parfaitement la devise que partage la revue PO4OR :
« De l’Orient à l’Occident, et inversement. »
À travers sa carrière franco-orientale, Sharif a prouvé que le cinéma peut être un langage universel de beauté et d’humanité.