Simone Fattal : une voix majeure qui relie Damas, Beyrouth et Paris à travers l’art et la pensée

Simone Fattal : une voix majeure qui relie Damas, Beyrouth et Paris à travers l’art et la pensée
«Simone Fattal, entre Damas, Beyrouth et Paris : une artiste qui transforme l’exil en langage plastique universel.»

À une époque où les récits se fragmentent et où les identités se redéfinissent, l’œuvre de Simone Fattal apparaît comme une boussole. Née à Damas, élevée à Beyrouth, formée à Paris, et révélée au monde entre l’Europe et la Californie, l’artiste incarne l’une des trajectoires les plus riches et les plus singulières de la scène contemporaine. Son parcours, façonné par l’exil, l’érudition et une sensibilité plastique très personnelle, fait d’elle une figure essentielle du dialogue entre l’Orient et l’Occident. Aujourd’hui encore, Paris demeure le repère central où s’enracinent ses réflexions, ses mythologies et sa quête inlassable d’un langage universel.

Simone Fattal arrive à Paris dans les années soixante pour étudier la philosophie à la Sorbonne. Ce choix n’est pas anecdotique. Il révèle, dès le départ, une volonté profonde de comprendre le monde dans sa totalité, de saisir l’histoire humaine par ses fondements intellectuels. Cette formation laisse une empreinte durable sur son œuvre : la pensée, le doute, la quête de sens et l’héritage des civilisations y occupent une place centrale. De ce passage à la Sorbonne, Fattal garde une rigueur, une exigence et un rapport au texte qui marqueront plus tard son travail de sculptrice, de peintre et d’éditrice.

Après ses études, elle retourne à Beyrouth où elle se fait rapidement un nom dans la scène artistique naissante des années soixante-dix. Mais la guerre civile bouleverse tout. Comme beaucoup d’intellectuels libanais, elle quitte le pays et s’installe en Californie, une étape importante qui élargit encore son horizon. Là, elle fonde avec son compagnon, l’écrivain et peintre Etel Adnan, la maison d’édition The Post-Apollo Press, qui deviendra une plateforme essentielle de la poésie contemporaine, de la pensée féministe et des écritures du monde arabe. Ce geste éditorial est une extension naturelle de sa formation philosophique : publier, c’est donner forme à la pensée. C’est aussi résister.

Mais c’est à Paris que son travail trouve sa maturité et son rayonnement international. La capitale française, qui l’a accueillie dans sa jeunesse, redevient le lieu d’une reconquête artistique. Depuis les années 2000, elle y revient régulièrement pour exposer, développer ses recherches plastiques et consolider une présence au cœur de l’une des scènes artistiques les plus exigeantes du monde. Paris lui offre non seulement une reconnaissance institutionnelle, mais aussi un territoire affectif et intellectuel où se rencontrent ses multiples héritages.

L’univers de Simone Fattal repose sur une simplicité apparente qui dissimule une profondeur remarquable. Ses sculptures, souvent façonnées dans l’argile ou le grès, semblent surgir de temps immémoriaux. Elles évoquent les premières effigies humaines, les silhouettes mésopotamiennes, les figures de mythes anciens. Pourtant, rien n’est archaïsant : ces formes parlent au présent, avec une immédiateté bouleversante. Elles incarnent l’humain dépouillé de tout artifice, dans son mystère le plus pur. Les surfaces rugueuses, les corps esquissés, les silhouettes presque fantomatiques sont autant de fragments d’une mémoire qui traverse les civilisations.

Cette esthétique du fragment n’est pas seulement plastique. Elle est aussi le reflet d’une biographie marquée par les ruptures, les départs, les recommencements. Fattal ne transforme pas son exil en plainte, mais en matière. Chaque œuvre est un acte de survie poétique. Ses figures debout, hiératiques, semblent lutter contre l’effacement. Elles rappellent que toute existence est une inscription fragile sur la longue ligne du temps.

Son travail pictural, moins connu que ses sculptures mais tout aussi essentiel, suit la même logique. Les paysages, les silhouettes, les scènes intérieures qu’elle compose sont imprégnés de lumière orientale, de silence méditerranéen et d’une forme de mélancolie sereine. L’artiste ne cherche jamais la virtuosité formelle : elle privilégie la vérité de l’émotion, la densité du geste, la résonance intime. Dans ses peintures comme dans ses sculptures, il existe toujours un espace vide, une respiration, un appel à la contemplation.

Depuis une quinzaine d’années, les institutions internationales redécouvrent et célèbrent son travail. Le MoMA à New York, le Centre Pompidou à Paris, le Musée Yves Saint Laurent à Marrakech, la Sharjah Art Foundation et la Biennale de Venise ont tous mis en lumière la puissance singulière de son œuvre. Cette reconnaissance n’est pas le fruit d’une mode, mais d’une fidélité : celle d’une artiste qui n’a jamais renoncé à sa liberté intérieure, qui a travaillé en silence pendant des décennies avant que le monde n’écoute enfin ce qu’elle avait à dire.

À Paris, où elle expose régulièrement, Fattal retrouve le lieu où tout a commencé : la pensée, la langue française, l’histoire de l’art et l’élan intellectuel qui ont façonné sa jeunesse. La ville est aussi le pont symbolique entre ses origines et son parcours international. Dans ses œuvres, on retrouve constamment cette tension féconde entre l’Orient et l’Occident : une archéologie de la Méditerranée, un regard contemporain, une mémoire éclatée. Paris lui permet de réunir ces mondes, de les fondre dans un langage plastique qui parle à tous.

Il est frappant de constater que malgré la profondeur de son œuvre, Fattal reste d’une grande simplicité dans sa posture publique. Elle n’a rien de l’artiste conceptuelle éloignée du monde réel. Au contraire, elle parle de son travail avec une humilité rare, insistant sur la matière, le geste, l’intuition, la nécessité intérieure. Ce rapport organique à la création est l’un des secrets de sa force.

Aujourd’hui, alors que les ponts entre les cultures sont plus nécessaires que jamais, Simone Fattal incarne une figure essentielle du dialogue artistique mondial. À travers son œuvre, elle rappelle que l’exil peut être une source de création, que la fragilité peut devenir puissance, que la mémoire peut nourrir l’avenir. Elle démontre que l’art n’est pas un simple objet esthétique, mais un espace où se rencontrent les récits, les douleurs, les mythes et les espoirs.

Simone Fattal n’est pas seulement une artiste. Elle est une passeuse. Une femme qui, par la beauté silencieuse de ses œuvres, relie Damas, Beyrouth et Paris en un seul geste. Une voix qui, loin du bruit du monde, continue de tracer un chemin où l’humanité se reconnaît.

PO4OR – Portail de l’Orient, Paris

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