Wajdi Mouawad : l’auteur franco-oriental qui a fait basculer le théâtre parisien dans une nouvelle ère

Wajdi Mouawad : l’auteur franco-oriental qui a fait basculer le théâtre parisien dans une nouvelle ère
Wajdi Mouawad, le dramaturge franco-oriental qui transforme la mémoire en un théâtre vibrant et universel.

Dans l’histoire récente du théâtre français, rares sont les voix capables de déplacer les lignes, d’imposer un souffle nouveau, d’ouvrir des horizons esthétiques tout en convoquant les mémoires intimes et les fractures du monde contemporain. Parmi elles, celle de Wajdi Mouawad occupe une place singulière. À Paris, où il a trouvé un territoire d’expression parmi les plus fertiles de sa carrière, l’auteur et metteur en scène d’origine libanaise a façonné une œuvre qui bouscule, émeut et réconcilie. À travers un théâtre de la parole brûlante, du mythe revisité et de la douleur sublimée, il a contribué à redéfinir la manière dont l’Orient et l’Occident peuvent dialoguer sur scène.

Né à Beyrouth en 1968, marqué très tôt par la guerre civile, Mouawad emporte avec lui le bruit des bombes, l’exil, les territoires arrachés, mais aussi la douceur de l’enfance, la mémoire de la langue arabe, les odeurs de la Méditerranée. Ces fragments deviennent l’ossature de son œuvre. Son arrivée en France, puis son installation au Québec et plus tard son retour à Paris, ont forgé un parcours où chaque étape nourrit un engagement viscéral envers la création. Le théâtre, pour lui, n’est pas un simple espace de représentation : il est une blessure ouverte, une quête d’apaisement, un laboratoire où l’on tente de comprendre ce qui nous échappe.

À Paris, Mouawad trouve une scène prête à accueillir l’ampleur de son projet artistique. Son cycle Le Sang des promesses marque un tournant dans le théâtre francophone : Incendies, Littoral, Forêts et Ciels forment une odyssée de l’exil, de la mémoire familiale et des guerres invisibles qui habitent chaque être humain. Incendies, porté à l’écran par Denis Villeneuve en 2010, devient rapidement une référence mondiale, tant pour sa construction dramatique que pour la puissance symbolique de son récit. L’histoire de Nawal Marwan, femme-sphinx qui traverse les frontières géographiques autant qu’intérieures, incarne cette jonction permanente entre l’intime et le politique qu’affectionne Mouawad.

Au Théâtre national de la Colline, dont il assure la direction de 2016 à 2023, il imprime une vision profondément humaniste : un théâtre des origines, des corps, du verbe. Il redonne une place essentielle au texte, à la musicalité de la langue, à la dimension presque rituelle du spectacle vivant. Sous sa direction, le théâtre devient un espace de transmission, où les jeunes auteurs bénéficient d’une écoute rare, où la diversité culturelle cesse d’être un slogan pour devenir une réalité concrète.

Ce qui rend Mouawad fondamental dans la cartographie théâtrale contemporaine, c’est sa capacité à lier l’humain au tragique antique. Il convoque Sophocle, Eschyle, Euripide, non pas pour les imiter, mais pour rappeler que les conflits modernes – du Liban à l’Irak, de la Syrie à l’Europe – portent encore les ombres des tragédies anciennes. Son théâtre parle des guerres, mais surtout des survivants. Il raconte l’exil, mais surtout le retour impossible. Il met en scène le fracas de l’Histoire, mais cherche dans les interstices une lumière, une rédemption, une promesse de paix.

À Paris, son œuvre rencontre un public curieux, exigeant, sensible à cette articulation unique entre l’Orient et l’Occident. Les spectateurs reconnaissent en lui un passeur : un artiste capable de traduire les tremblements du monde arabe en paroles universelles, un conteur qui élève l’intime vers le mythe, un dramaturge dont la plume épouse la géographie du déracinement.

Pour PO4OR, Mouawad incarne l’essence même du dialogue culturel : un créateur qui ne renonce ni à la mémoire orientale ni à l’exigence du théâtre français. Son parcours montre qu’il est possible de faire dialoguer plusieurs mondes, non pas en cherchant une harmonie naïve, mais en assumant les tensions, les ruptures, les blessures. Car c’est là que naît l’art.

Aujourd’hui encore, chaque création de Mouawad est accueillie comme un événement.

Ses pièces révèlent de nouvelles générations d’acteurs, questionnent les héritages coloniaux, interrogent les identités, repoussent les frontières de la représentation. Son travail continue de bouleverser Paris, parce qu’il rappelle que le théâtre n’est pas un divertissement, mais une nécessité.

À l’heure où le monde arabe et l’Europe cherchent de nouvelles formes de compréhension mutuelle, l’œuvre de Mouawad demeure une boussole. Elle dit la vérité des fractures, mais aussi la possibilité de reconstruire. Elle montre qu’entre Paris et l’Orient, il existe un territoire commun : celui de la scène, où les mots deviennent des ponts.

PO4OR – Portail de l’Orient, Paris

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