Ziad Rahbani : quarante jours de silence et d’écho

Ziad Rahbani : quarante jours de silence et d’écho

Chapeau :
Quarante jours après sa disparition, le Liban réapprend à respirer sans lui.
Ziad Rahbani, musicien, dramaturge et témoin lucide d’un pays en quête de vérité, laisse derrière lui un héritage qui parle encore – d’humour, d’amour et de révolte.
Son silence résonne comme une note suspendue dans la mémoire du monde arabe.


Quarante jours se sont écoulés depuis que la musique libanaise a perdu l’un de ses esprits les plus libres.
Ziad Rahbani, compositeur, pianiste, dramaturge et chroniqueur de son peuple, s’en est allé, laissant derrière lui un héritage à la fois éclatant et douloureux – à l’image de Beyrouth elle-même.

Né en 1956 à Antélias, fils de la légendaire Fairuz et du compositeur Assi Rahbani, Ziad portait dès l’enfance le poids d’un nom devenu mythe.
Mais il refusa très tôt d’être l’ombre de ses parents.
À dix-sept ans, il signe « Sa’alouni el-Nass », chanson d’amour universelle, et impose déjà une écriture musicale qui déplace les frontières entre l’Orient et le jazz, entre la mélancolie et la dérision.

Ce refus de la conformité allait devenir sa signature.
Dans les cafés de Beyrouth ou les studios clandestins des années soixante-dix, il parle une langue nouvelle : celle de la lucidité.
Son art n’était pas un refuge, mais une arme douce, une ironie acérée contre l’hypocrisie sociale, politique et confessionnelle.

Pendant la guerre civile, Ziad invente un théâtre qui tient du cri et du miroir.
Des pièces comme Bennesbeh La Bokra Chou ? ou Film Amériki Tawil transforment la scène en un lieu de résistance, où les Libanais se reconnaissent dans leurs blessures et leurs rires.
Là où d’autres fuyaient la réalité, lui la mettait en musique.
Sa voix rauque, son humour désabusé, sa tendresse pudique faisaient de lui le chroniqueur d’un Liban fracturé, mais vivant.

Musicalement, Ziad Rahbani fut un passeur : entre le swing et le oud, entre Bach et le café Hamra.
Ses compositions mêlaient harmonie occidentale et rythme oriental avec une liberté rare.
Chez lui, chaque accord respirait la rue, la mémoire et le chaos de Beyrouth.
Il introduisit le groove dans la chanson arabe, fit dialoguer Miles Davis et Oum Kalthoum, le sarcasme et la prière.

Ziad ne cherchait pas la perfection, mais la vérité.
C’est cette sincérité absolue qui fit de lui un mythe vivant.
Dans ses concerts, il n’y avait pas de décor : seulement la musique, la parole et un regard qui savait dire : je vous vois, je vous entends, je suis de vous.

Aujourd’hui, quarante jours après son départ, le silence qu’il a laissé semble habité.
Ses mots résonnent plus fort que jamais : dans les radios, dans les voitures, dans les cafés où l’on parle encore de lui comme d’un frère disparu.
Ziad Rahbani n’a jamais voulu être une icône.
Il voulait être un être humain – et c’est sans doute ce qui le rend immortel.

Dans le tumulte du monde arabe, il demeure la preuve qu’on peut résister par la beauté, penser par la musique, aimer par la lucidité.
Son œuvre n’appartient pas au passé ; elle continue de poser des questions : que reste-t-il du rêve libanais ? Que reste-t-il de notre capacité à rire de nous-mêmes ?

Pour les jeunes générations, Ziad n’est pas un souvenir mais un repère.
Il incarne cette part indomptable du monde arabe qui refuse le désespoir.
Ses mots, souvent amers, sont devenus un vocabulaire de résistance ;
ses mélodies, un abri fragile contre la résignation.

À l’heure où tant de voix s’effacent, PO4OR – Portail de l’Orient rend hommage à cet homme qui a su dire l’inconfort, l’amour et la dignité avec une justesse que seule la vérité autorise.
Quarante jours après sa disparition, Ziad Rahbani n’est pas mort : il continue de dialoguer avec nous – comme toujours, entre un rire, un piano et un silence.


Rédaction PO4OR – Portail de l’Orient, Paris

Éditorial :
Cet article s’inscrit dans le dossier spécial « Les voix de l’Orient contemporain »,
une série publiée par PO4OR – Portail de l’Orient consacrée aux figures qui ont façonné le dialogue entre l’art, la mémoire et la liberté dans le monde arabe.
À travers ces portraits, la revue rend hommage à ceux qui ont su faire de la création un langage d’unité et d’espérance.


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