Asghar Farhadi : un regard d’Iran qui réinvente Paris et rapproche l’Orient de l’Occident

Asghar Farhadi : un regard d’Iran qui réinvente Paris et rapproche l’Orient de l’Occident
Asghar Farhadi, un cinéaste iranien qui fait dialoguer l’Orient et l’Occident depuis Paris.

Bureau de Paris-PO4OR

Le Passé, le film parisien où le regard d’Asghar Farhadi fait dialoguer l’Orient et l’Occident.

Lorsque Asghar Farhadi tourne Le Passé à Paris en 2013, il ne réalise pas seulement un film français porté par Bérénice Bejo et Tahar Rahim. Il inaugure une rencontre singulière entre deux univers qui, depuis des décennies, cherchent à mieux se comprendre. À travers ce long-métrage ancré dans le quotidien parisien, Farhadi offre au cinéma français un regard venu d’ailleurs : un regard oriental nourri par la profondeur émotionnelle, la complexité morale et la dramaturgie nuancée qui caractérisent son œuvre.

Bien que Le Passé soit un film français dans sa production et son casting, il respire l’esthétique narrative propre au cinéaste iranien. Sa mise en scène privilégie les zones d’ombre, les silences qui disent plus que les mots, et la lente montée d’une tension intime née du détail. Cette manière d’explorer le non-dit, typique de la tradition dramatique iranienne, trouve dans Paris un terrain inattendu. La capitale devient, sous l’œil de Farhadi, un laboratoire humain où les personnages dévoilent leurs contradictions, leurs blessures et leurs fragilités.

Le cœur du récit repose sur un secret familial, un amour en transition et des liens qui se défont dans l’ambiguïté. C’est un drame universel, mais la manière dont il est raconté porte la marque d’une sensibilité orientale profondément ancrée. Farhadi observe la société française avec une délicatesse rare, comme s’il cherchait, à travers les gestes les plus ordinaires, à interroger ce que les individus cherchent à protéger ou à oublier. La question du passé, qui donne son titre au film, agit comme un pont entre les cultures : chacun vit avec ses cicatrices, qu’il soit à Téhéran ou à Paris.

Ce film marque un tournant majeur dans la carrière du cinéaste. Après avoir exploré les dilemmes moraux de la société iranienne, Farhadi transpose son art dans un contexte occidental sans rien perdre de sa force. Cette transition révèle sa véritable nature : celle d’un passeur culturel. Il ne cherche ni à occidentaliser son style, ni à orientaliser la France. Il crée un espace de rencontre où les deux traditions se regardent, se questionnent et s’enrichissent mutuellement.

Le succès critique de Le Passé en France confirme l’importance de cette rencontre. Le public français reconnaît dans l’écriture de Farhadi une sophistication psychologique qui rappelle certains grands noms du cinéma européen, tout en étant portée par une profondeur émotionnelle propre à la culture iranienne. Cette hybridation subtile fait de son œuvre un langage universel, accessible au-delà des frontières culturelles.

Au-delà du film, l’ensemble de la carrière de Farhadi illustre ce rôle singulier de médiateur entre l’Orient et l’Occident. Ses films, souvent centrés sur la famille, la vérité, la culpabilité ou le doute, résonnent dans les sociétés occidentales qui se reconnaissent dans ces questionnements moraux. En même temps, la richesse symbolique et la sensibilité orientale qui imprègnent son cinéma offrent une porte d’entrée vers un imaginaire beaucoup plus vaste que celui d’un réalisme occidental classique.

L’expérience parisienne de Farhadi montre aussi que l’Europe contemporaine est prête à accueillir des voix artistiques venues de l’Iran ou du monde arabe dès lors qu’elles proposent une vision humaine authentique. Le cinéma devient alors un espace de traduction culturelle, une zone où les identités circulent et se rejoignent. Farhadi démontre qu’un film français signé par un cinéaste iranien peut devenir une œuvre pleinement européenne sans perdre sa fragrance orientale.

Dans Le Passé, comme dans l’ensemble de son œuvre, l’humanité est le véritable territoire. C’est précisément ce terrain commun qui permet à Farhadi de rapprocher les deux rives du monde. En donnant à la France un film marqué par son sens oriental du drame, il montre que les émotions n’ont pas de frontières. Elles se reconnaissent, se reflètent, et créent un espace de dialogue plus fort que n’importe quel discours.

Ainsi, Le Passé dépasse largement le cadre du cinéma. C’est un geste d’unification culturelle, une preuve que l’art peut combler les distances et réconcilier des imaginaires que l’histoire a souvent opposés. Farhadi, en posant sa caméra sur Paris, ne filme pas seulement une ville. Il filme la possibilité d’un monde commun.


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