Avignon, scène ouverte aux arts vivants saoudiens

Avignon, scène ouverte aux arts vivants saoudiens
Un danseur saoudien suspend le temps par le geste, faisant du rythme traditionnel un langage vivant au cœur du paysage historique d’Avignon.

Dans la ville d’Avignon, où l’histoire architecturale dialogue en permanence avec les formes contemporaines de la création, la présence artistique saoudienne s’est imposée comme une expérience culturelle structurante, bien au-delà d’un simple passage événementiel. Inscrite dans l’écosystème du Festival d’Avignon, cette participation a donné à voir une approche globale des arts vivants, où le patrimoine, loin d’être figé, devient un matériau actif de pensée et de scène.

Au cœur de la cité, dans la cour du musée Angladon et à l’ombre des pierres séculaires, les propositions musicales et chorégraphiques ont offert au public une traversée sensible des territoires culturels du Royaume. Les costumes brodés, les percussions profondes, les cadences collectives et la rigueur des mouvements ont composé un langage scénique lisible, fondé sur l’équilibre entre transmission et écriture contemporaine. Il ne s’agissait pas d’exposer un folklore, mais de donner forme à une mémoire vivante, capable de s’inscrire dans un espace européen sans se dissoudre ni se simplifier.

Chaque tableau a affirmé une géographie intérieure. La danse de la (Khatwa), issue du sud, a ouvert le cycle par son ancrage rythmique et sa dimension presque méditative. Le (Khabiti), associé aux plaines de l’ouest, a fait entendre la primauté du verbe poétique, porté par des instruments traditionnels et un rapport au corps fondé sur la narration. Depuis l’est du pays, la (Liwa) a introduit une dynamique circulaire, collective, où les corps gravitent autour du rythme, rappelant des héritages maritimes et transfrontaliers. La séquence s’est achevée avec l’(Arda de Wadi Al-Dawasir), forme emblématique où le chant épique, les percussions et la gestuelle martiale se rejoignent dans une affirmation de dignité et de cohésion.

Ce déploiement dans l’espace public a trouvé un prolongement plus introspectif sur le plateau théâtral. À quelques kilomètres du centre historique, dans l’enceinte du château de Saint-Chamand, le théâtre saoudien a investi un lieu clos, propice à l’écoute et à la concentration. La pièce (Tawq) y a été présentée avec un dispositif de surtitrage en français et en anglais, permettant au texte arabe d’exister pleinement sans renoncer à sa densité linguistique. La distribution, mêlant acteurs et actrices, a offert une image claire de la maturité d’un paysage théâtral où la présence féminine s’affirme avec justesse et autorité.

Au-delà de la représentation elle-même, cette production a révélé une chaîne artistique maîtrisée : scénographie pensée en fonction de l’espace, composition musicale originale, travail précis de la lumière et organisation de production répondant aux standards internationaux. Le fait qu’un texte en arabe classique trouve sa place dans un cadre aussi exigeant constitue un jalon symbolique fort, non comme geste inaugural, mais comme affirmation de continuité et de compétence.

Cette participation s’inscrit dans une édition du festival marquée par une attention particulière portée à la langue arabe, envisagée comme langue de savoir, de création et de réflexion. Dans ce contexte, les propositions venues du monde arabe ont dialogué entre elles sans se confondre, abordant aussi bien les formes musicales que les enjeux politiques et sociaux contemporains. Les scènes ont ainsi accueilli des œuvres interrogeant la condition des travailleurs migrants, les violences de guerre, la mémoire collective et les fractures du présent, faisant du festival un espace de confrontation artistique plutôt que de simple célébration.

La dimension musicale et intellectuelle du programme a prolongé ce mouvement, à travers des créations rendant hommage à de grandes figures de la culture arabe, des concerts, des lectures et des rencontres conçues en partenariat avec des institutions culturelles françaises. Les débats et échanges ont offert un contrepoint réflexif aux spectacles, inscrivant les œuvres dans une circulation d’idées où artistes, écrivains et penseurs ont partagé leurs lectures du monde contemporain.

En définitive, la présence saoudienne à Avignon ne peut être réduite à une séquence datée. Elle s’impose comme une prise de position artistique claire : celle d’un paysage culturel en pleine structuration, capable d’articuler héritage et modernité, ancrage local et projection internationale. Dans le cadre exigeant du Festival d’Avignon, cette démarche a trouvé un terrain de résonance rare, confirmant que le dialogue entre les scènes du monde ne se construit ni par l’exotisme ni par le discours, mais par la qualité du travail artistique et la justesse de sa mise en partage.

Bureau de Paris – PO4OR.

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