Bilan 2025 : une génération réécrit le cinéma égyptien
Pour une lecture souveraine d’une année charnière
L’année 2025 ne s’inscrit pas comme une simple séquence favorable dans l’histoire récente du cinéma égyptien. Elle marque un moment de bascule, un déplacement profond des logiques de reconnaissance, de production et de circulation. Ce qui se joue cette année-là dépasse la somme des succès individuels : il s’agit d’un changement de régime symbolique, porté par une génération d’acteurs qui ne se définit plus par la filiation, mais par le parcours, la durée et la capacité à inscrire la création égyptienne dans un espace cinématographique mondialisé.
Ce bilan n’est ni un palmarès ni une chronique d’actualités. Il propose une lecture de fond, attentive aux dynamiques à l’œuvre : la rencontre entre festivals et marché, la redéfinition de la starification, la place retrouvée de l’acteur comme porteur de sens, et non comme simple valeur promotionnelle.
2025 : l’année du repositionnement
Dès les premiers mois de l’année, un constat s’impose : le cinéma égyptien ne cherche plus seulement à exister, mais à se repositionner. Les participations internationales se multiplient, les œuvres circulent dans des festivals de référence, et les acteurs deviennent des figures de passage entre différents systèmes de production.
Cette dynamique s’inscrit dans une géographie désormais élargie : Carthage, El Gouna, la mer Rouge, Tallinn, autant de lieux où les films égyptiens ne sont plus invités par courtoisie régionale, mais évalués selon des critères artistiques exigeants. 2025 consacre ainsi la fin d’un complexe périphérique et l’émergence d’une parole plus assurée.
Amir El Masry, de l’itinérance à l’ancrage mondial
Le parcours de Amir El Masry constitue l’un des marqueurs les plus éloquents de cette année charnière. En remportant le Tanit d’Or au Festival de Carthage pour Les Histoires, il ne signe pas seulement une consécration individuelle : il confirme la capacité d’un acteur égyptien à porter un film au sommet d’un festival historiquement exigeant.
La trajectoire du film, ensuite présenté au Festival Black Nights de Tallinn puis au Festival international du film de la mer Rouge, illustre une circulation fluide entre espaces culturels, sans perte de lisibilité ni de singularité.
Le choix du film Giant pour l’ouverture du festival de la mer Rouge marque une autre étape décisive. En incarnant le boxeur Naseem Hamed aux côtés de Pierce Brosnan, dans une production portée par Sylvester Stallone, Amir El Masry ne joue plus le rôle de l’« acteur arabe dans un projet international ». Il devient une composante organique d’un récit global, où l’origine n’est ni effacée ni folklorisée, mais intégrée comme matière dramatique.
Ahmed Malek, la maturité comme posture esthétique
L’année 2025 marque également un point d’équilibre dans le parcours de Ahmed Malek. Son prix de Meilleur acteur au Festival du film d’El Gouna pour Kolonia consacre une approche fondée sur la retenue, la densité intérieure et la construction patiente d’un langage de jeu.
Entouré de Kamel El Basha, Mayan El Sayed, Donia Maher et Hala Merzouk, sous la direction de Mohamed Siam et la production de Mohamed Hefzy, Malek y déploie un jeu débarrassé de toute surenchère expressive.
À la télévision, Wlad El Shams confirme sa capacité à habiter des formats populaires sans dilution de son exigence. Au cinéma, 6 jours, aux côtés de Aya Samaha, prolonge cette exploration du temps, de l’usure des sentiments et de la transformation des affects. En 2025, Ahmed Malek n’est plus un « espoir », mais une figure de stabilité artistique.
Taha Desouky et Essam Omar, la réconciliation avec le publi
Le succès massif de Siko Siko constitue l’un des faits industriels majeurs de l’année, avec plus de 188 millions de livres égyptiennes au box-office. Ce triomphe place Taha Desouky et Essam Omar au cœur d’une équation longtemps jugée impossible : conjuguer popularité et intelligence narrative.
Le film, oscillant entre comédie et suspense, capte avec acuité les mutations sociales liées au numérique et à l’économie informelle. Il démontre qu’un cinéma accessible peut aussi être un cinéma de son temps.
Parallèlement, Taha Desouky confirme sa versatilité dans Les Honorables Messieurs, aux côtés de Mohamed Mamdouh et Achraf Abdel Baky. Essam Omar, quant à lui, reçoit le prix de Meilleur acteur au Hollywood Arab Film Festival pour À la recherche d’une issue pour la sortie de Monsieur Rambo, confirmant que reconnaissance critique et succès populaire peuvent désormais cohabiter.
Ce que dit réellement le bilan 2025
Le bilan de 2025 ne se résume ni à des chiffres ni à des distinctions. Il révèle une mutation générationnelle : passage d’une logique de vedettariat instantané à une logique de trajectoire, d’endurance et de cohérence. Cette génération ne demande pas sa légitimité au passé ; elle la construit par la circulation, par le choix des projets et par une conscience accrue des enjeux internationaux.
Pour PO4OR, ce bilan constitue un jalon référentiel. Il ouvre une réflexion de long terme sur la place du cinéma égyptien dans l’écosystème culturel contemporain : entre Le Caire et les capitales du cinéma mondial, entre héritage et réinvention.
En 2025, le cinéma égyptien ne se contente plus d’exister.
Il se redéfinit, et une génération en écrit déjà les lignes maîtresses.
Rédaction : Bureau du Caire