Chris Nemour Un passage discret entre Paris et le Liban, au-delà de l’événement
L’apparition de Chris Nemour sur la scène du théâtre romain de Zouk Mikaël, lors des Festival international de Zouk Mikaël en 2018, ne peut être lue comme un simple moment de spectacle. Avec le recul, elle s’impose davantage comme un point de passage, révélateur d’un lien artistique en construction entre deux espaces culturels, Paris et le Liban, à un moment où ces circulations restaient rares et peu visibles.
Invitée par Masi, avec lequel elle avait déjà collaboré dans la comédie musicale Jésus de Nazareth à Jérusalem, Chris Nemour n’entre pas en scène comme une artiste invitée venue créer l’effet. Elle s’inscrit dans une continuité. Le duo sur Tais-Toi installe d’emblée une relation d’écoute et d’équilibre, sans hiérarchie apparente, comme si la scène devenait un espace commun plutôt qu’un lieu d’exposition individuelle.
Le moment le plus significatif survient lorsque Masi se retire et lui laisse la scène. En choisissant d’interpréter « Li Beirut » de Fairuz, Chris Nemour ne cherche pas à produire un geste spectaculaire ni à s’approprier un monument du répertoire libanais. Elle adopte au contraire une posture de retenue, presque effacée, laissant la chanson exister par elle-même. Cette sobriété dit beaucoup de son rapport au Liban : un lien vécu, assumé, mais jamais brandi.
Relire cette séquence aujourd’hui permet d’en saisir la portée réelle. En 2018, Chris Nemour est encore au début de son parcours musical, entre Paris et le Liban, travaillant une écriture francophone intime, loin des logiques de visibilité immédiate. Sa présence à Zouk Mikaël ne constitue pas une consécration, mais un ancrage symbolique : celui d’une artiste qui peut circuler entre les deux rives sans traduire ni expliquer son positionnement.
La soirée se poursuit avec Masi, interprétant Après moi le délire, extrait de son album français, sur un texte du poète Nami Mokheiber. Ce choix renforce la cohérence de l’ensemble : une scène libanaise qui accueille des formes francophones sans les considérer comme étrangères, et des artistes qui investissent cette langue comme un espace de création plutôt que comme un marqueur identitaire.
Ce qui se joue alors dépasse le cadre du concert. La scène devient un lieu de circulation artistique, où une voix franco-libanaise trouve sa place sans revendication, et où le répertoire libanais est abordé avec respect, sans fétichisation. Le théâtre romain, chargé d’histoire, n’est pas utilisé comme décor patrimonial, mais comme espace vivant de transmission.
Avec le recul, cette apparition de 2018 apparaît comme l’un des premiers signes d’un mouvement plus large : celui d’une génération d’artistes franco-libanais qui ne cherchent ni à “revenir” ni à “s’imposer”, mais à tisser des continuités. Chris Nemour incarne ce geste discret. Sa voix ne fait pas événement ; elle trace un lien. Un lien fragile, mais durable, entre Paris et le Liban, fondé sur le chant, la retenue et le temps long.
Bureau de Paris – PO4OR.