Coco Makmak et la comédie transméditerranéenne : rire depuis l’entre-deux

Coco Makmak et la comédie transméditerranéenne : rire depuis l’entre-deux
Coco Makmak, sur scène comme à l’écran, incarne une comédie de l’entre-deux où l’identité ne se revendique pas, mais se négocie par le rire et le décalage.

La comédie contemporaine en France traverse une mutation silencieuse. Elle ne se structure plus uniquement autour de l’observation sociale hexagonale, ni autour de figures universelles détachées de toute appartenance. Elle se reconfigure depuis des zones intermédiaires, des espaces biographiques fragmentés, où l’identité n’est ni revendiquée comme un étendard ni effacée au profit d’un discours neutre. C’est dans cet espace que s’inscrit Coco Makmak.

Son travail ne relève pas de la « comédie communautaire », catégorie souvent invoquée pour réduire les artistes issus de la diaspora à des récits d’origine. Il s’agit plutôt d’une comédie de circulation : circulation entre langues, gestes, codes familiaux et normes sociales, entre un Liban intériorisé et une France vécue. Ce qui se joue n’est pas la représentation d’une communauté, mais la mise en tension de plusieurs systèmes culturels au sein d’un même corps.

Contrairement à une tradition humoristique fondée sur la punchline ou la satire frontale, Coco Makmak développe une écriture fondée sur la variation des points de vue. Elle ne raconte pas une histoire linéaire ; elle fait dialoguer des figures. La mère, la mondaine, la femme respectable, la franco-libanaise contemporaine : ces personnages ne sont pas des rôles autonomes, mais des positions sociales. Ils incarnent des manières d’habiter le monde, parfois incompatibles, souvent simultanées.

Ce dispositif révèle une caractéristique essentielle de la comédie transméditerranéenne : elle ne cherche pas à résoudre les contradictions identitaires, mais à les rendre habitables. Le rire ne vient pas d’un conflit tranché, mais d’un décalage permanent. Ce décalage n’est ni dramatique ni nostalgique. Il est quotidien.

La Méditerranée, dans ce type de comédie, n’est pas un décor. Elle fonctionne comme un régime de sens. Elle charrie des rapports spécifiques à la famille, au corps, à la parole, à la réussite sociale. Coco Makmak ne les oppose pas à un modèle français abstrait ; elle les confronte à une réalité française concrète, faite de normes implicites, de retenue sociale, de distance émotionnelle relative. Le rire naît précisément de cette friction.

Une génération française de l’entre-deux

Ce positionnement n’est pas isolé. Il s’inscrit dans un mouvement plus large de la scène humoristique française, porté par une génération qui ne se définit plus par l’assimilation ni par la revendication identitaire brute.

On peut, à ce titre, évoquer Fary, dont le travail s’articule autour de la respectabilité sociale, de la mobilité de classe et du regard porté sur les corps noirs dans l’espace français. Chez Fary, l’identité n’est pas un thème ; elle est une condition de perception. Il observe la société depuis une position légèrement décalée, sans jamais la transformer en manifeste.

Autre figure structurante, Gad Elmaleh, qui a longtemps incarné une comédie de l’accent et du malentendu culturel. Mais là où Gad travaillait souvent sur l’opposition explicite entre ici et ailleurs, Coco Makmak opère dans un registre plus diffus. L’ailleurs n’est jamais totalement ailleurs. Il est déjà là, intégré, digéré, parfois contradictoire.

On pourrait également citer Panayotis Pascot, dont l’écriture repose sur une introspection générationnelle, détachée de toute assignation culturelle explicite, mais profondément marquée par une identité européenne fluide. Chez lui comme chez Coco, la comédie devient un outil d’analyse de soi plutôt qu’un commentaire social direct.

Ce qui distingue Coco Makmak

La singularité de Coco Makmak tient à son usage de la multiplicité. Là où d’autres humoristes choisissent un point d’énonciation stable, elle fragmente volontairement la scène. Elle ne parle jamais depuis une seule voix. Cette fragmentation reflète une réalité diasporique contemporaine : l’impossibilité de se réduire à une seule appartenance sans se trahir.

Son humour ne cherche pas à corriger les clichés ; il les expose, les déplace, les met en concurrence. La mère libanaise n’est ni idéalisée ni ridiculisée. La société française n’est ni supérieure ni caricaturée. Chacun des systèmes est montré dans ses forces et ses angles morts. Le rire fonctionne alors comme un révélateur, non comme un verdict.

Il y a également, dans son travail, une dimension politique indirecte. Non pas au sens militant, mais au sens structurel. En refusant de choisir entre ses appartenances, Coco Makmak conteste un modèle implicite encore présent en France : celui de l’identité univoque. Elle affirme, par la scène, la possibilité d’une identité composite, non conflictuelle, mais jamais totalement harmonieuse.

Une comédie de l’époque

La montée en visibilité de ce type de comédie correspond à une transformation plus large de la société française. La question n’est plus seulement celle de l’intégration, mais celle de la cohabitation des récits. Les artistes issus de trajectoires transnationales ne demandent plus à être reconnus comme exceptions ; ils produisent des formes qui obligent le centre à se déplacer.

Dans ce contexte, Coco Makmak apparaît moins comme une humoriste « libanaise-française » que comme une figure symptomatique d’un moment culturel précis. Un moment où la comédie cesse d’être un simple miroir social pour devenir un espace de négociation identitaire.

La comédie transméditerranéenne ne cherche ni l’unité ni la synthèse. Elle accepte la dissonance comme moteur créatif. Coco Makmak en est l’une des expressions les plus fines : une comédie sans crispation, sans folklore, sans discours imposé. Une comédie qui ne demande pas au public de comprendre une culture, mais de reconnaître une situation.

C’est précisément cette capacité à transformer l’entre-deux en espace de jeu, et non en problème à résoudre, qui inscrit son travail dans une dynamique contemporaine majeure du paysage culturel français.

Rédaction : PO4OR

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