De la Sorbonne à l’Orient : quand la France éclairait les esprits de l’Est
Dès les années 1920, des noms devenus mythiques foulent ses couloirs : Taha Hussein, Louis Massignon, Malek Bennabi, Anouar Abdel-Malek. Tous ont capté la lumière française pour la renvoyer vers leurs terres natales.
(Par la rédaction de PO4OR, sous la direction d’Ali Al-Hussien – T Media Group Paris)
« De la Sorbonne, l’Orient n’a pas reçu une doctrine : il a respiré une liberté. »
La Sorbonne, un phare sur la Méditerranée
Au cœur du Quartier Latin, sous les voûtes austères de la Sorbonne, s’est écrite une des pages les plus fécondes du dialogue entre l’Orient et l’Occident.
Entre les amphithéâtres où planent encore les ombres de Descartes et de Michelet, une génération d’intellectuels venus d’Alexandrie, de Beyrouth, d’Alger ou du Caire a découvert le visage rayonnant d’une France qui se rêvait universelle.
Ce fut, dès le début du XXᵉ siècle, un rayonnement français sur l’Orient, à la fois savant, poétique et subversif : celui de la pensée libre.
Les passerelles du savoir
La Sorbonne fut bien plus qu’une université : un phare intellectuel et moral.
Dans ses salles silencieuses, l’Orient trouvait l’écho d’une raison critique répondant à ses propres interrogations spirituelles.
Les étudiants orientaux n’y cherchaient pas seulement un diplôme, mais une méthode, une discipline de l’esprit, un regard neuf sur le monde.
Dès les années 1920, des noms devenus mythiques foulent ses couloirs : Taha Hussein, Louis Massignon, Malek Bennabi, Anouar Abdel-Malek.
Tous ont capté la lumière française pour la renvoyer vers leurs terres natales.
Taha Hussein, formé à la Sorbonne avant de devenir le « docteur des aveugles » du Caire, incarna le mariage entre rationalisme français et éloquence arabe.
Son ouvrage L’Avenir de la culture en Égypte est une méditation sorbonnarde sur la raison et la renaissance orientale.
Malek Bennabi, lui, trouva dans la philosophie morale française les outils d’une réforme de la pensée islamique.
Quant à Anouar Abdel-Malek, disciple de Gurvitch, il porta la sociologie critique jusqu’aux débats du Tiers Monde.
L’éclat de la pensée française
Ce rayonnement ne se réduisait pas à l’enseignement ; il était une atmosphère.
La Sorbonne, héritière de Voltaire et de Hugo, transmettait la conviction que la pensée peut libérer les peuples.
Là où leurs sociétés subissaient le poids des traditions, les étudiants orientaux découvraient la dispute comme méthode, le doute comme vertu, et la littérature comme arme douce.
La France offrait alors une promesse : celle d’une modernité qui ne reniait pas la beauté.
Dans les cafés de Saint-Germain, autour des revues Les Temps modernes et Esprit, les étudiants du Levant apprenaient à conjuguer la philosophie de Sartre et la poésie d’Éluard, l’engagement politique et la sensualité du verbe.
Ils lisaient Gide et Camus comme on lit un manifeste de liberté.
Et lorsqu’ils rentraient à Damas ou à Tunis, leurs valises contenaient moins des livres que des germes de révolution culturelle.
Les transferts de lumière
Mais réduire cet échange à une simple influence serait injuste.
Les Orientaux n’ont jamais été de simples disciples.
Ils ont apporté à la Sorbonne leurs propres univers : la métaphysique d’Ibn Arabi, la poésie de Khalil Gibran, les contes des Mille et Une Nuits.
Ce brassage féconda la recherche française elle-même.
Louis Massignon, nourri par ses amitiés arabes, fonda l’islamologie spirituelle moderne.
Henry Corbin traduisit la mystique chiite en concepts philosophiques que lirait plus tard Michel Foucault.
Ainsi, la lumière reflétée de l’Orient nourrissait la France autant qu’elle s’en inspirait.
C’était un dialogue silencieux, mais profond : une circulation des idées, une respiration partagée des deux rives de la Méditerranée.
Les héritiers d’aujourd’hui
Un siècle plus tard, le phénomène se poursuit sous d’autres formes.
Dans les amphithéâtres rénovés de la Sorbonne-Nouvelle, on entend toujours des accents venus d’Alep, de Rabat, de Bagdad ou de Beyrouth.
Les jeunes chercheurs orientaux explorent aujourd’hui les intersections du genre, de la mémoire et de l’exil.
Les poètes syriens y lisent Adonis et Aragon dans la même phrase ;
les essayistes maghrébins questionnent la laïcité à la française ;
les Irakiens réinventent la traduction philosophique à la lumière de Derrida.
Cette nouvelle génération ne vient plus « recevoir » la lumière, elle dialogue avec elle.
L’idée ancienne du rayonnement français devient celle du partage des lumières : un humanisme réciproque, un espace commun du sens.
La France et l’Orient : un pacte d’esprit
Dans l’histoire longue, l’épisode sorbonnard demeure un chapitre majeur du destin méditerranéen.
Il rappelle ce que la France a de plus noble : le génie de faire de la pensée un lien.
Le rayonnement français ne réside pas dans la domination, mais dans l’universalisme du questionnement.
Les Orientaux formés à Paris n’ont pas importé un modèle ;
ils ont rapporté une attitude : celle du regard critique, de la tolérance, de la beauté du doute.
C’est là, peut-être, la véritable essence de la culture française :
non pas imposer, mais éclairer.
Aujourd’hui encore, face aux replis identitaires et aux ombres de la peur, ce pacte d’esprit entre la Sorbonne et l’Orient reste une promesse intacte.
La France, fidèle à sa vocation d’éclaireuse, continue d’inspirer les consciences libres du Levant.
Et l’Orient, fidèle à sa profondeur mystique, rappelle à la France que la lumière n’existe que lorsqu’elle trouve un cœur pour l’accueillir.
Mots-clés :
Sorbonne – Orient – Rayonnement culturel – Intellectuels arabes – Dialogue des civilisations – Humanisme français – Taha Hussein – Malek Bennabi – Louis Massignon – Université de Paris – Poésie et raison.