De Paris à Alexandrie : la naissance du cinéma en Égypte par la voie française

De Paris à Alexandrie : la naissance du cinéma en Égypte par la voie française
Image d’archive du film « Awlād al-Dhawāt » (1932), premier long métrage égyptien parlant, marqueur fondateur de l’entrée du cinéma national dans l’ère sonore.

L’histoire du cinéma en Égypte ne s’inscrit ni dans le retard ni dans l’imitation. Elle s’ancre, dès l’origine, dans une simultanéité remarquable avec l’émergence du cinéma mondial. Lorsque le nouveau langage des images animées apparaît à Paris à la fin de l’année 1895, l’Égypte n’est pas un simple horizon lointain : elle devient, en moins d’un an, l’un des premiers territoires de projection hors d’Europe.

Le 28 décembre 1895, à Paris, le cinéma est présenté pour la première fois au public. Moins de douze mois plus tard, le 5 novembre 1896, Alexandrie accueille les premières projections sur le sol égyptien. Ce rapprochement chronologique n’est pas anecdotique : il révèle la place singulière de l’Égypte dans la circulation précoce des formes culturelles modernes entre l’Europe et l’Orient.

Alexandrie, laboratoire méditerranéen de l’image

Ville-port, ville-carrefour, Alexandrie offrait un terrain naturel à l’accueil de cette invention nouvelle. Les premières projections y sont organisées par des communautés étrangères installées durablement dans la ville, notamment françaises et italiennes, qui importent non seulement les films, mais aussi les dispositifs techniques et les modes de diffusion.

Très tôt, le cinéma cesse d’être un simple divertissement itinérant. Dès 1897, une mission française venue présenter et promouvoir le cinématographe s’installe à Alexandrie et filme les espaces urbains : places, tramways, artères animées. La caméra européenne découvre la ville orientale non comme un décor exotique, mais comme un espace moderne, vivant, traversé par le mouvement.

Ces images constituent aujourd’hui les premiers fragments visuels de l’histoire urbaine égyptienne filmée.

De la projection à la production locale

À mesure que les projections se multiplient, le marché s’élargit. Le monopole initial cède la place à une concurrence européenne, principalement française et italienne. Les opérateurs sillonnent le pays, captant les lieux emblématiques, les cérémonies, les scènes de la vie quotidienne. L’Égypte devient ainsi l’un des premiers territoires non européens à être filmé de manière continue.

Le véritable tournant survient lorsque la caméra commence à enregistrer des événements locaux. En 1907, des scènes liées à la vie politique, religieuse et sociale égyptienne sont filmées et projetées sur place. Cette date marque, pour de nombreux historiens, l’acte fondateur de la production cinématographique en Égypte.

Il ne s’agit plus seulement de montrer l’Égypte au regard européen, mais de produire une image de l’Égypte pour ses propres spectateurs.

Langue, son et médiation culturelle

Dès les premières années du XXe siècle, les projections s’accompagnent d’expérimentations sonores. Des commentaires parlés, des dispositifs de synchronisation et des traductions apparaissent. Les titres et intertitres des films étrangers sont traduits en arabe, parfois projetés sur des supports parallèles.

Ce travail de médiation linguistique est fondamental. Il permet au public local de s’approprier un art encore perçu comme étranger. Le cinéma devient progressivement un espace partagé, où la technologie occidentale rencontre les récits, les voix et les sensibilités orientales.

Vers le film de fiction et l’émergence d’une industrie

À partir des années 1910, le cinéma égyptien franchit une nouvelle étape : celle de la fiction. Les premiers films narratifs apparaissent, produits par des structures mixtes, associant capitaux, savoir-faire techniques et talents locaux. Cette période voit émerger les premiers réalisateurs égyptiens, appelés à jouer un rôle central dans la structuration du langage cinématographique national.

La fin des années 1920 marque une consolidation décisive. Les films muets atteignent une maturité esthétique, tandis que les premières adaptations littéraires traduisent le désir de relier cinéma et culture écrite. L’image animée devient un prolongement du roman, du théâtre, de la poésie.

Le passage au parlant et l’affirmation culturelle

Le début des années 1930 ouvre l’ère du cinéma parlant. Les premiers longs-métrages sonores rencontrent un large succès public et installent durablement le cinéma comme industrie culturelle. Les films chantés, les grandes figures de la scène et de la musique, participent à la constitution d’un imaginaire collectif partagé.

La création de grands studios au milieu des années 1930 donne au cinéma égyptien une infrastructure industrielle solide. Le pays devient alors un pôle majeur de production dans le monde arabe, capable d’exporter ses films et ses stars bien au-delà de ses frontières.

Le cinéma comme mémoire nationale

Au fil des décennies, le cinéma égyptien s’impose comme un outil de narration historique. Il accompagne les grandes mutations politiques et sociales du pays, enregistre les bouleversements, les espoirs, les traumatismes. L’écran devient un espace où l’histoire se donne à voir, se rejoue, se transmet.

Une traversée fondatrice entre Paris et l’Orient

L’histoire du cinéma en Égypte ne peut être dissociée de son point d’entrée français. Ce passage initial par Paris, puis par Alexandrie, a façonné un rapport singulier à l’image : ni entièrement importé, ni strictement local. Il a créé les conditions d’un dialogue durable entre l’Europe et l’Orient, entre la technique et le récit, entre la modernité et les cultures du Sud.

C’est dans cette traversée fondatrice que s’inscrit la singularité du cinéma égyptien : un art né au croisement des rives, devenu l’un des piliers de la mémoire visuelle du monde arabe.

Rédaction : Bureau du Caire

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