Gilbert Sinoué, l’écriture comme espace de passage entre l’Orient et l’Occident

Gilbert Sinoué, l’écriture comme espace de passage entre l’Orient et l’Occident
Gilbert Sinoué, écrivain français d’origine égyptienne, figure majeure du roman historique, dont l’œuvre explore les zones de contact et de tension entre l’Orient et l’Occident à travers une écriture exigeante et profondément incarnée.

Né le 18 février 1947 au Caire sous le nom de Samir Gilbert Kassab, Gilbert Sinoué appartient à cette génération d’écrivains pour lesquels le déplacement géographique n’a jamais signifié la rupture, mais l’élargissement du regard. Installé en France à la fin des années 1960, il s’est imposé comme l’une des figures majeures du roman historique francophone, tout en conservant un lien organique avec les strates culturelles, spirituelles et politiques du monde oriental qui ont façonné son imaginaire.

Avant la littérature, Sinoué s’engage dans la création musicale. Auteur et compositeur, il collabore notamment avec Dalida. Cette première trajectoire artistique n’est pas anecdotique. Elle lui transmet le sens du rythme, de la construction narrative et de la tension dramatique, éléments qui deviendront des composantes essentielles de son écriture romanesque. Lorsque la littérature s’impose à lui, ce n’est pas comme un simple changement de médium, mais comme un prolongement naturel de cette exigence formelle.

Son œuvre romanesque se distingue très tôt par un choix assumé de la grande histoire comme matière vivante. Les périodes qu’il explore, du Proche-Orient médiéval aux grands empires méditerranéens, ne sont jamais traitées comme des décors exotiques. Elles constituent au contraire des espaces de confrontation idéologique, religieuse et politique, où se jouent des équilibres durables. Sinoué écrit l’histoire à hauteur d’homme, attentif aux trajectoires individuelles prises dans des systèmes de pouvoir qui les dépassent.

L’Orient, chez lui, n’est ni un fantasme ni un objet de nostalgie. Il est une réalité complexe, plurielle, traversée de tensions internes. Écrivant en français, Sinoué opère un travail de traduction culturelle exigeant. Il rend intelligibles des univers mentaux, des croyances et des rapports au sacré souvent méconnus du lectorat occidental, sans jamais céder à la simplification ou au didactisme. Cette position intermédiaire fonde la singularité de son regard et la cohérence de son projet littéraire.

L’une des forces majeures de son œuvre réside dans son rapport éthique à l’Histoire. Sinoué refuse les récits manichéens et les figures héroïques figées. Il restitue la complexité des choix, les ambiguïtés morales et les contradictions qui traversent les grandes figures comme les anonymes. Le roman devient ainsi un espace critique, capable d’interroger la fabrication des mythes, la violence des dogmes et la fragilité des constructions civilisationnelles.

Dans le paysage culturel français, Gilbert Sinoué occupe une place singulière. Il s’adresse à un large public tout en maintenant un haut niveau d’exigence intellectuelle. Cette capacité à concilier lisibilité narrative et rigueur historique explique la reconnaissance durable dont bénéficie son œuvre. Elle fait de lui un passeur, au sens plein du terme, entre la recherche historique, la fiction et la réflexion contemporaine.

À une époque marquée par la tentation de l’opposition frontale entre Orient et Occident, l’écriture de Sinoué rappelle que l’histoire des civilisations s’est toujours construite dans l’échange, le conflit et l’influence réciproque. Ses romans proposent une autre lecture du monde, fondée sur la nuance et la mémoire partagée. Plus qu’un romancier historique, Gilbert Sinoué apparaît ainsi comme un écrivain de la médiation, pour qui la littérature demeure un lieu privilégié de compréhension et de transmission.

Rédaction : Bureau de Paris

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