Golshifteh Farahani : de Téhéran à Paris, la métamorphose d’une icône libre du cinéma mondial

Golshifteh Farahani : de Téhéran à Paris, la métamorphose d’une icône libre du cinéma mondial

(Rédaction – Bureau de Paris, PO4OR – Portail de l’Orient)

Il existe des trajectoires artistiques qui bousculent les frontières, défient les conventions et impriment leur empreinte sur l’imaginaire collectif. Celle de Golshifteh Farahani, actrice iranienne devenue figure majeure du cinéma français et voix universelle de liberté, appartient à cette catégorie rare où l’art se confond avec le destin. Depuis son arrivée à Paris, elle ne cesse de fasciner par la force de son jeu, la profondeur de son regard et l’intensité de son engagement. À travers un parcours marqué par l’exil, la résilience et la création, Farahani incarne aujourd’hui une forme singulière d’étoile contemporaine : libre, insoumise et infiniment lumineuse.

Née en 1983 à Téhéran dans une famille où l’art s’inscrit comme une seconde nature, Golshifteh baigne très tôt dans un environnement où le cinéma, la musique et le théâtre façonnent la vie quotidienne. Son père, Behzad Farahani, est une figure respectée du théâtre iranien, tandis que sa sœur Shaghayegh devient également actrice. Cette atmosphère artistique n’est pas un simple décor, mais une école, un atelier, un monde d’expression dans lequel elle apprend à regarder, à ressentir, à comprendre les gestes et les silences qui fabriquent les émotions humaines.

À 14 ans, elle apparaît pour la première fois à l’écran dans Le Poirier, un film qui attire rapidement l’attention du public iranien et des critiques. Puis tout s’enchaîne : elle devient l’une des plus jeunes actrices à recevoir le Crystal Simorgh, la plus haute distinction du Fajr Film Festival, pour son rôle dans The Fish Fall in Love. En Iran, elle acquiert une notoriété fulgurante, non seulement pour son talent, mais aussi pour sa présence rare, intuitive, presque magnétique. Golshifteh n’est pas une actrice qui récite : elle habite les rôles, elle respire avec eux, elle leur offre un corps et une densité émotionnelle qui dépassent souvent l’écriture elle-même.

Mais cette ascension s’accompagne d’un paradoxe douloureux. Le cinéma iranien, aussi prestigieux soit-il, demeure limité par un système de censure qui bride l’expression artistique. Les restrictions imposées aux femmes, en particulier, rendent contraignant tout projet créatif. Au fil des années, Golshifteh ressent de plus en plus intensément la nécessité de s’ouvrir à un horizon plus vaste. Le point de bascule survient en 2008, lorsqu’elle participe à Body of Lies de Ridley Scott, aux côtés de Leonardo DiCaprio et Russell Crowe. Ce film, tourné hors du cadre iranien, marque une rupture : les autorités iraniennes perçoivent mal cette exposition internationale, et son départ du pays devient inévitable.

En 2009, Golshifteh Farahani quitte l’Iran pour la France. Ce n’est pas un départ ordinaire, mais un arrachement, une transition entre deux mondes et deux identités. À Paris, elle n’arrive pas en star, mais en artiste en recherche de liberté. La capitale française, avec sa tradition d’accueil des créateurs et des intellectuels exilés, s’impose comme un refuge naturel. Très vite, elle s’y reconstruit, non pas seulement comme actrice, mais comme femme, comme artiste, comme voix politique et poétique à la fois.

Sa carrière en France s’amorce avec plusieurs films d’auteur qui mettent en avant son intensité émotionnelle et sa capacité à incarner des personnages complexes. Dans Si tu meurs, je te tue de Hiner Saleem, elle dévoile une profondeur qui séduit les réalisateurs français. Mais c’est dans Les Deux Amis de Louis Garrel, Paterson de Jim Jarmusch, puis Arab Blues de Manele Labidi qu’elle affirme pleinement son identité nouvelle : celle d’une actrice internationale, capable de naviguer entre les sensibilités culturelles et de porter des rôles marqués par l’exil, la quête de soi, la féminité et les paradoxes de la modernité.

À Paris, Golshifteh n’est pas seulement actrice : elle devient une figure culturelle. Elle s’exprime librement, aborde la condition des femmes, critique les systèmes répressifs, défend la dignité humaine. Dans la presse française, ses interviews résonnent comme des appels à la liberté et à l’individualité. Sa position, loin d’être purement politique, est profondément existentielle : elle parle du corps, du silence, du deuil, de la création, de la peur, de la reconstruction. Elle évoque l’identité comme une maison qui se transporte, se déconstruit et se réinvente.

Sur les scènes françaises — Cannes, Deauville, Angoulême — elle devient une présence attendue. Son style, souvent minimaliste mais audacieux, se distingue autant par son élégance que par son authenticité. Il y a dans ses apparitions une forme de fragilité assumée, un charme discret, une intensité qui ne cherche pas à séduire mais qui s’impose naturellement.

Au-delà du cinéma, Farahani nourrit une autre passion : la musique. Pianiste et chanteuse, elle considère la musique comme un langage intime et essentiel. Elle collabore avec des artistes internationaux, compose, enregistre, et restitue dans ses chansons une sensibilité mélancolique qui rappelle ses origines persanes. Cette dimension musicale renforce encore l’image d’une artiste totale, multisensorielle, qui ne limite pas l’expression à un seul médium.

L’un des aspects les plus fascinants de son parcours reste sa capacité à évoluer entre les mondes. Elle tourne en France, en Allemagne, aux États-Unis, au Liban. Elle peut jouer la poésie du quotidien, la tension psychologique, la puissance dramatique ou l’humour subtil. Peu d’actrices possèdent cette polyvalence. Golshifteh en fait une marque de fabrique, presque un manifeste artistique : l’identité ne doit pas être une cage, mais un mouvement perpétuel.

En France, elle a trouvé plus qu’un lieu de travail. Elle y a trouvé un espace intérieur. Paris lui offre une respiration, un rythme, une forme de paix que l’exil, paradoxalement, rend possible. C’est ici qu’elle a découvert la possibilité d’être pleinement elle-même : une femme complexe, une artiste libre, une voix sans compromis. À travers elle, Paris devient aussi le symbole d’une renaissance, d’un territoire où la création s’épanouit malgré les cicatrices du passé.

À 40 ans passés, Golshifteh Farahani n’est plus seulement une actrice iranienne exilée. Elle est devenue une figure du cinéma mondial, une étoile libre, un pont entre l’Iran et la France, entre l’Orient profond et l’Occident moderne. Elle incarne cette génération d’artistes qui défient les frontières, déconstruisent les identités figées et ouvrent des espaces de dialogue dans un monde fragmenté.

À la croisée de la douleur et de la lumière, Golshifteh continue d’avancer. Son histoire n’est pas seulement celle d’une carrière : c’est celle d’une métamorphose, d’un souffle qui refuse l’étouffement, d’un destin où l’art devient l’ultime territoire de la liberté.

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