Janette Ishak Quand l’éducation devient un acte culturel et la transmission une forme de diplomatie
Le parcours de Janette Ishak s’est construit loin des logiques de mise en avant et des formes rapides de reconnaissance. Il s’inscrit dans une temporalité plus discrète, où l’éducation devient un espace de médiation culturelle et la francophonie un outil de lien plutôt qu’un simple cadre institutionnel. À l’intersection de la transmission, du dialogue et de l’engagement humain, son itinéraire ne relève pas d’une carrière au sens classique, mais d’une pratique patiente du sens et de la relation.
Depuis plus de vingt-huit ans, Janette Ishak œuvre au cœur de l’enseignement du français en Égypte. Non comme une simple discipline scolaire, mais comme un espace de circulation des idées, des sensibilités et des imaginaires. Enseigner une langue, pour elle, n’a jamais signifié imposer un modèle ou reproduire un schéma figé ; il s’est toujours agi de créer des passerelles, de permettre aux apprenants de s’approprier un outil vivant, capable de dialoguer avec leur propre culture.
Cette vision s’est forgée très tôt. Diplômée de l’enseignement secondaire, formée à l’université puis titulaire d’un master obtenu conjointement auprès de l’Université de Rouen et de l’Université d’Artois, Janette Ishak a construit son expertise dans le temps long. Elle n’a jamais dissocié la rigueur académique de la pratique de terrain. Enseigner, former, accompagner : chaque étape de son parcours s’inscrit dans une logique de continuité, où l’expérience nourrit la réflexion et inversement.
Son engagement ne s’est pas limité à la salle de classe. Très vite, elle s’est investie dans la formation des enseignants, convaincue que la qualité de la transmission passe d’abord par celles et ceux qui transmettent. Pendant plus de quinze ans, elle a contribué à la formation pédagogique de professeurs dans des établissements catholiques et des réseaux éducatifs variés, tout en collaborant avec le Centre culturel français en tant que formatrice et conceptrice de méthodes d’enseignement innovantes. Là encore, sa démarche se distingue : il ne s’agit pas de diffuser des recettes, mais d’accompagner des pratiques, de susciter l’autonomie, de valoriser l’intelligence pédagogique locale.
Cette approche a naturellement trouvé un écho au sein des institutions de la francophonie. Le choix de Janette Ishak par l’Organisation internationale de la Francophonie pour participer à l’ouverture d’un site de formation à distance à Genève n’est pas anecdotique. Il témoigne d’une reconnaissance internationale de son savoir-faire, mais surtout de sa capacité à penser la transmission à l’ère des mutations technologiques et culturelles, sans jamais perdre de vue l’essentiel : la relation humaine.
Parallèlement à son action éducative, Janette Ishak développe depuis plus de vingt-deux ans un engagement profond dans le théâtre francophone. Figure active du Festival international de théâtre francophone en Égypte, elle y occupe un rôle central, participant à l’organisation, à la réflexion artistique et à la circulation des œuvres. Elle écrit, met en scène, accompagne des projets théâtraux où la langue française devient un espace de création partagée, accessible, incarné. Le théâtre, chez elle, n’est pas un simple prolongement artistique : il constitue un outil pédagogique à part entière, un lieu où la langue se vit, se respire, se confronte au corps et à l’émotion.
Cette double appartenance — au monde de l’éducation et à celui de la création — confère à son parcours une singularité précieuse. Janette Ishak incarne une francophonie vécue, non institutionnelle, enracinée dans le quotidien et ouverte sur le monde. Elle démontre que la culture ne se décrète pas : elle se pratique, se transmet, se partage. Dans un contexte régional et international marqué par les tensions identitaires et les replis, son travail s’apparente à une forme de diplomatie discrète mais efficace, fondée sur la connaissance, la confiance et le respect mutuel.
L’attribution de la distinction de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres — remise par l’ambassadeur de France au Caire — vient consacrer cette trajectoire. Ce geste symbolique dépasse la reconnaissance individuelle : il souligne le rôle stratégique de ces acteurs de l’ombre qui, par l’éducation et la culture, participent activement au dialogue entre les sociétés. Janette Ishak n’a jamais cherché les honneurs ; ils sont venus à elle comme la conséquence logique d’un engagement constant.
Ce qui frappe, au-delà des titres et des fonctions, c’est la cohérence éthique de son parcours. Janette Ishak appartient à cette génération de passeurs pour qui la transmission est un acte de responsabilité. Elle croit à l’exigence, à la durée, à l’effort. Elle se méfie des effets de mode et des raccourcis. À ses yeux, enseigner une langue, former un enseignant, monter un projet culturel, c’est contribuer à façonner des individus capables de penser par eux-mêmes et d’entrer en relation avec l’autre sans crainte.
Dans un monde où l’éducation est souvent réduite à des indicateurs chiffrés et la culture à des vitrines événementielles, son itinéraire rappelle une évidence parfois oubliée : la transmission est un travail de fond, silencieux, mais décisif. Elle constitue l’un des piliers les plus sûrs d’une diplomatie durable, parce qu’elle agit sur les imaginaires, les sensibilités et les générations futures.
À travers Janette Ishak, c’est une certaine idée de la francophonie qui se dessine : non pas une langue figée ou un héritage à préserver sous cloche, mais un espace de dialogue vivant, ancré en Égypte et résolument tourné vers le monde. Un espace où l’éducation devient un acte culturel à part entière, et où la transmission s’affirme, pleinement, comme une forme de diplomatie.
Rédaction – Bureau du Caire