Jean-Pierre Corteggiani, ou l’archéologie comme responsabilité du regard

Jean-Pierre Corteggiani, ou l’archéologie comme responsabilité du regard
L'égyptologue Jean-Pierre Corteggiani (à droite) visite avec l'acteur Yves Montand (à gauche) les tombes des Nobles, à côté de Louxor, le 13 novembre 1986. © Photo Mike Nelson/AFP.

Il existe des savants dont le nom circule discrètement, sans jamais chercher la reconnaissance médiatique, mais dont l’empreinte demeure durable dans les disciplines qu’ils ont servies. Jean-Pierre Corteggiani appartient à cette catégorie rare de chercheurs pour lesquels la science n’a jamais été un espace de mise en scène, mais un champ de transmission patiente, exigeante et profondément éthique.

Spécialiste de l’Égypte ancienne, figure majeure de l’égyptologie française contemporaine, Jean-Pierre Corteggiani a consacré l’essentiel de son parcours à comprendre, préserver et transmettre un patrimoine qui dépasse largement les frontières nationales. Son œuvre ne se résume ni à des titres ni à des fonctions, mais à une certaine idée du savoir : un savoir qui oblige, qui engage, et qui refuse les raccourcis.

Une formation ancrée dans la rigueur scientifique

Issu de la grande tradition française des sciences de l’Antiquité, Jean-Pierre Corteggiani s’inscrit dans une école où l’égyptologie ne se limite pas à l’étude des monuments spectaculaires. Textes, contextes archéologiques, pratiques funéraires, organisation sociale : tout participe, chez lui, d’une approche globale de la civilisation pharaonique.

Très tôt, il adopte une méthode fondée sur la précision philologique, l’analyse comparative et une attention constante portée aux conditions matérielles de production du savoir. Cette rigueur, loin de l’enfermer dans un champ étroitement académique, lui permet au contraire de dialoguer avec des publics variés, sans jamais céder à la simplification abusive.

L’Égypte comme terrain vivant, non comme décor

Ce qui distingue profondément Jean-Pierre Corteggiani de nombreuses figures de l’égyptologie médiatisée, c’est son rapport au terrain. L’Égypte n’a jamais été pour lui un simple objet d’étude ou un décor prestigieux. Elle constitue un espace vivant, complexe, traversé par des enjeux historiques, culturels et humains contemporains.

Ses missions archéologiques, ses travaux sur les sites et ses responsabilités institutionnelles témoignent d’un respect profond pour le contexte local. Il n’a jamais envisagé l’archéologie comme une extraction de vestiges, mais comme une pratique inscrite dans un dialogue constant avec le pays, ses institutions et ses chercheurs.

Cette posture, aujourd’hui largement revendiquée mais longtemps marginale, place Jean-Pierre Corteggiani parmi les artisans d’une relation plus équilibrée entre la recherche occidentale et les patrimoines du Sud.

Le musée comme espace de connaissance partagée

L’un des axes majeurs de son engagement réside dans son rapport au musée. Pour Corteggiani, le musée n’est ni un sanctuaire figé ni un instrument de pouvoir symbolique. Il est un espace pédagogique, un lieu de médiation où le savoir doit circuler sans être appauvri.

À travers ses fonctions au sein d’institutions muséales et culturelles françaises, il a œuvré à rendre l’égyptologie intelligible sans la banaliser. Catalogues, expositions, conférences : chacune de ses interventions porte la marque d’un équilibre rare entre exigence scientifique et clarté du propos.

Cette conception du musée comme outil de transmission rejoint une vision profondément humaniste de la science : le savoir n’a de valeur que s’il est partagé avec justesse.

Une voix sans emphase dans le débat scientifique

Jean-Pierre Corteggiani n’a jamais été un homme de tribunes. Dans les débats qui traversent le champ de l’archéologie — restitution des œuvres, éthique des collections, responsabilité des institutions occidentales — il s’est toujours exprimé avec retenue, refusant les positions dogmatiques.

Cette discrétion ne doit pas être confondue avec une absence d’engagement. Elle relève au contraire d’une conviction profonde : les questions complexes ne se résolvent ni par des slogans ni par des postures morales simplificatrices. Son approche privilégiait l’histoire longue, l’analyse des faits et le respect des acteurs concernés.

À ce titre, sa pensée demeure aujourd’hui une référence précieuse, à l’heure où les débats patrimoniaux sont souvent polarisés.

Une figure du lien franco-égyptien

Tout au long de sa carrière, Jean-Pierre Corteggiani a incarné une forme de diplomatie scientifique silencieuse. Son travail s’inscrit dans une histoire longue de coopération entre la France et l’Égypte, mais sans jamais reproduire les schémas hérités du passé colonial.

Il a contribué à faire évoluer cette relation vers un modèle fondé sur l’échange, la formation et la reconnaissance mutuelle des compétences. Son action a participé à légitimer une égyptologie consciente de son histoire, capable de se réinventer sans renier ses fondements.

Dans cette perspective, son parcours dépasse largement le cadre individuel : il reflète une mutation progressive des pratiques scientifiques internationales.

Le temps long comme horizon

À rebours des logiques de visibilité immédiate, Jean-Pierre Corteggiani a construit son œuvre dans le temps long. Publications spécialisées, travaux de synthèse, accompagnement de jeunes chercheurs : son influence se mesure moins en coups d’éclat qu’en continuités.

Cette temporalité lente confère à son travail une solidité particulière. Elle explique aussi pourquoi son nom demeure une référence dans les milieux spécialisés, bien au-delà des cycles médiatiques.

Un héritage intellectuel durable

La disparition de Jean-Pierre Corteggiani ne marque pas la fin d’un discours, mais l’ouverture d’un temps de relecture. Son œuvre invite à repenser la place de l’archéologue, non comme découvreur spectaculaire, mais comme médiateur entre les vestiges du passé et les sociétés contemporaines.

À une époque où le patrimoine est souvent instrumentalisé, son parcours rappelle que l’archéologie est avant tout une discipline de responsabilité : responsabilité envers les cultures étudiées, envers les institutions qui les conservent, et envers le public qui les reçoit.

Jean-Pierre Corteggiani fut un savant du seuil : à la frontière entre recherche et transmission, entre France et Égypte, entre savoir académique et conscience éthique. Son héritage ne se résume pas à des découvertes ou à des fonctions, mais à une manière d’habiter la science avec retenue, précision et respect.

À ce titre, il demeure une figure essentielle pour comprendre ce que peut et doit être aujourd’hui une archéologie consciente de son histoire et attentive à son avenir.

Rédaction : PO4OR – Portail de l’Orient
Bureau de Paris

Read more