La robe de Leïla Mourad Élégance, cinéma et mémoire d’une icône arabe

La robe de Leïla Mourad Élégance, cinéma et mémoire d’une icône arabe
Leïla Mourad Icône du cinéma et de la chanson arabes, figure d’élégance dont la présence a marqué durablement l’imaginaire culturel.

Leïla Mourad occupe une place singulière dans l’histoire culturelle du monde arabe. Figure centrale de l’âge d’or du cinéma égyptien, elle incarne une génération d’artistes pour lesquelles le talent ne se dissociait jamais d’une présence, d’un style, d’une manière d’habiter l’écran. Chanteuse, actrice et icône populaire, elle a façonné une image où la retenue, la douceur et l’élégance constituaient un langage à part entière.

Née au Caire en 1918 dans une famille juive d’origine levantine, Leïla Mourad grandit dans un environnement musical exigeant. Son père, Zaki Mourad, est un compositeur et chanteur reconnu, qui joue un rôle déterminant dans sa formation. Très tôt, elle s’impose par une voix singulière, empreinte de mélancolie et de délicatesse, qui la distingue au sein d’un paysage musical pourtant foisonnant. Sa carrière cinématographique débute dans les années 1930 et connaît rapidement un essor spectaculaire.

À l’écran, Leïla Mourad ne se contente pas d’interpréter des rôles : elle impose un ton. Ses personnages, souvent traversés par une sensibilité discrète, évitent l’excès mélodramatique. Elle devient ainsi l’une des actrices les plus aimées du public arabe, enchaînant les succès tout au long des années 1940 et 1950. Son aura dépasse largement le cadre du cinéma égyptien et s’étend à l’ensemble du monde arabe.

Cette reconnaissance s’accompagne d’une attention particulière portée à son image. Leïla Mourad est perçue comme l’une des artistes les plus élégantes de son époque. Elle collabore avec de grands couturiers et soigne chaque apparition publique comme chaque apparition à l’écran. Dans ce contexte, la mode ne relève jamais du simple ornement : elle participe pleinement de la construction de son identité artistique.

C’est dans cet esprit qu’en 1951, une robe est conçue spécialement pour elle par la maison Coco Chanel. Cette création ne relève pas d’un choix mondain, mais d’une véritable démarche esthétique. Pensée sur mesure, elle est réalisée selon les souhaits précis de l’artiste, afin d’accompagner sa silhouette et son style, sans jamais les écraser.

La robe, confectionnée à partir de fils d’or et d’argent pur, représente alors un investissement exceptionnel : son coût est estimé à 400 livres égyptiennes, une somme considérable à l’époque, équivalente à près d’un demi-kilogramme d’or. Plus encore, elle demeure une pièce unique : jamais reproduite, jamais réinterprétée, elle n’existe que pour Leïla Mourad.

L’artiste la porte dans le film Habib el-Rouh, lors de l’interprétation de la chanson éponyme. Cette scène marque durablement les esprits. Le public découvre une image devenue emblématique : celle d’une star qui conjugue grâce, sobriété et majesté. Très vite, la presse et les spectateurs qualifient la robe de « royale », y voyant le prolongement naturel de la stature de l’actrice.

Autour de cette création, les récits se multiplient. Certaines sources évoquent la vente d’un bien immobilier par Leïla Mourad afin de financer cette pièce exceptionnelle. D’autres rapportent que Coco Chanel elle-même aurait offert la robe à l’artiste, la décrivant comme « la reine des Arabes, la magicienne de l’Orient et l’étoile de l’Égypte ». Cette pluralité de versions participe à la dimension mythique de l’objet.

Le contexte historique renforce encore cette charge symbolique. À la même période, Chanel aurait refusé de concevoir une robe pour l’épouse d’un président français, en signe de solidarité avec les petites maisons de couture, fragilisées par des réglementations strictes imposées au secteur. Le geste, s’il est avéré, inscrit la robe de Leïla Mourad dans un dialogue complexe entre esthétique, pouvoir et positionnement éthique.

Au-delà de la mode, cette robe devient ainsi une archive culturelle. Elle témoigne d’un moment rare de rencontre entre Paris et Le Caire, entre la haute couture française et le cinéma arabe. Elle rappelle aussi que Leïla Mourad fut bien plus qu’une vedette populaire : une figure de transition, à la croisée des mondes, des cultures et des sensibilités.

Aujourd’hui encore, son image continue de traverser les générations. La robe qu’elle porta n’est plus seulement un vêtement, mais un symbole : celui d’un âge d’or où l’élégance, alliée à l’art, produisait une mémoire durable, capable de résister au temps.

Rédaction : Bureau du Caire

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