Le français, nouvelle langue du Levant : comment et pourquoi il rivalise avec les langues maternelles ?

Dans les cafés branchés du Caire, sur les stories de Beyrouth ou dans les universités de Dubaï, on entend des mots français mêlés à l’arabe — une symphonie linguistique nouvelle, symbole d’un monde en mutation.

Le français, nouvelle langue du Levant : comment et pourquoi il rivalise avec les langues maternelles ?

Ali Al-Hussien – PO4OR / Portail de l’Orient

Au fil des deux dernières décennies, un phénomène linguistique discret mais profond s’est imposé dans le monde arabe.
La langue française, longtemps perçue comme l’apanage du Maghreb francophone, s’étend désormais vers l’Orient : en Égypte, au Liban, en Syrie, en Jordanie, mais aussi dans les pays du Golfe.
Dans les cafés branchés du Caire, sur les stories de Beyrouth ou dans les universités de Dubaï, on entend des mots français mêlés à l’arabe — une symphonie linguistique nouvelle, symbole d’un monde en mutation.


De la langue d’élite à la langue de génération

Autrefois associée à la haute société et aux écoles étrangères, la langue de Molière est devenue la langue de la génération connectée.
Sur les réseaux sociaux, de jeunes Égyptiens, Libanais, Saoudiens ou Syriens mélangent les codes :

« Trop stylé wallah ! »,
« Je suis crevé mais c’est la vibe ! »
Ce métissage linguistique, loin d’être une simple mode, exprime un besoin profond d’appartenance à une modernité mondialisée sans renier ses racines.

L’école, les médias et Internet : la triple porte d’entrée

Les écoles françaises et les alliances culturelles jouent toujours un rôle clé, mais la véritable révolution se fait en ligne.
Les plateformes de streaming, les influenceurs francophones et les contenus courts de la culture pop française (mode, musique, humour, gastronomie) séduisent un public jeune en quête d’esthétique, de distinction et de subtilité.
La langue française, avec sa musicalité et son esprit nuancé, offre une alternative sensible à la domination de l’anglais — jugé souvent trop utilitaire.


L’essor remarquable des écoles françaises au Moyen-Orient

L’un des signes les plus visibles de cette évolution est l’attrait croissant pour les écoles françaises en Égypte, au Liban et dans le Golfe.
À Lycée Français du Caire, à Beyrouth ou encore à Riyad et Dubaï, les listes d’attente s’allongent.
De nombreuses familles arabes, parfois non francophones, font le choix d’inscrire leurs enfants dans ces établissements pour bénéficier d’une éducation perçue comme porteuse de prestige, d’ouverture et de discipline intellectuelle.
Au-delà du simple apprentissage linguistique, il s’agit d’un désir d’intégration à la culture française, vue comme synonyme de raffinement, de rigueur et de liberté de pensée.
Les parents eux-mêmes participent à ce mouvement, suivant des cours à l’Institut Français ou encourageant leurs enfants à poursuivre leurs études en France.
Ainsi, l’enseignement du français devient un projet de famille, une passerelle culturelle entre deux mondes.


Une langue d’identité, pas seulement de prestige

Pour beaucoup de jeunes Orientaux, parler français, ce n’est plus une question de statut, mais d’identité.
C’est affirmer un rapport au monde : plus universel, plus libre, plus singulier.
Le français devient alors une langue de soi, un instrument de style et de pensée.
Cette appropriation intime dépasse la simple admiration pour la culture française : elle traduit un désir d’équilibre entre tradition et ouverture, entre l’arabe du cœur et le français de l’esprit.


Entre fascination et inquiétude

Cependant, cette évolution n’est pas sans provoquer des interrogations.
Les linguistes et pédagogues s’inquiètent d’un recul du rapport affectif à la langue maternelle.
Quand une génération commence à rêver, à penser ou à aimer en français, que reste-t-il de la langue d’origine ?
La question n’est pas anodine : perdre une langue, c’est parfois perdre une part de soi, un lien avec la mémoire collective et les émotions premières.


Vers un équilibre possible

L’enjeu n’est pas de choisir entre les langues, mais de les faire dialoguer.
L’avenir linguistique du monde arabe pourrait être pluriel : une jeunesse capable de passer de l’arabe au français avec aisance, de lire Mahmoud Darwich le matin et Albert Camus le soir.
Dans cette hybridité réside peut-être la véritable richesse du XXIᵉ siècle : la capacité d’être deux, ou même plusieurs, sans se trahir.


Conclusion

La montée du français en Orient n’est ni une menace ni une simple tendance : c’est le reflet d’une transformation culturelle profonde.
Entre le désir de modernité et le besoin de racines, le français devient un espace de respiration pour une jeunesse en quête de sens.
Il ne s’agit pas d’abandonner la langue mère, mais de la faire dialoguer avec d’autres.
Et peut-être qu’un jour, ce mélange d’arabe et de français donnera naissance à une nouvelle musique du monde, où l’identité orientale parlera plusieurs langues… avec le même cœur.


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