Les Journées cinématographiques de Carthage 2025 Quand Tunis devient l’épicentre du cinéma arabe, africain et du Sud global
Tunis n’ouvre pas simplement un festival. Elle rouvre une mémoire, un espace critique et un horizon politique et esthétique. Avec le lancement de la 36ᵉ édition des Journées cinématographiques de Carthage, du 13 au 20 décembre 2025, la capitale tunisienne réaffirme une singularité rare dans le paysage mondial des festivals : celle d’un rendez-vous où le cinéma n’est jamais réduit à un produit, mais pensé comme un acte culturel, social et parfois profondément politique.
Depuis sa création, les JCC occupent une place à part. Elles ne cherchent ni la mondanité ni la spectacularisation à outrance. Leur force réside dans la fidélité à une vision : donner voix aux cinémas arabes, africains et aux regards du Sud, tout en les inscrivant dans un dialogue exigeant avec le cinéma mondial. Cette 36ᵉ édition s’inscrit pleinement dans cette continuité, tout en révélant une maturité nouvelle.
Les chiffres traduisent l’ampleur de l’événement : 165 films projetés sur 14 écrans, issus de 23 pays. La sélection rassemble 96 films de fiction et 69 courts métrages, dont 54 œuvres en compétition officielle. Les sections couvrent l’ensemble des écritures cinématographiques : longs métrages de fiction, documentaires, courts métrages et la section « Carthage Cinéma de Demain », dédiée aux nouvelles générations. À travers cette architecture éditoriale, les JCC dessinent une cartographie vivante des préoccupations contemporaines : identités fragmentées, exil, mémoire, transformations sociales, mais aussi expérimentations formelles et nouvelles narrations.
La présence tunisienne demeure centrale et structurante. Avec 46 films sélectionnés, dont 23 longs métrages et 23 courts métrages, le cinéma tunisien affirme sa vitalité et sa capacité à dialoguer avec le monde sans se dissoudre dans des modèles dominants. Cette visibilité nationale n’est pas un repli, mais une affirmation : Carthage reste un festival ancré dans son territoire, ouvert sur l’international.
L’une des grandes forces de cette édition réside dans la composition de ses jurys, véritables espaces de pensée collective. La compétition des longs métrages de fiction est présidée par la réalisatrice et scénariste palestinienne Najwa Najjar, figure d’un cinéma engagé, intime et politique à la fois. À ses côtés, la présence du critique français John Michel Frodon revêt une portée symbolique forte. Ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, penseur majeur du cinéma contemporain, Frodon incarne un regard européen exigeant, attentif aux cinémas du Sud et à leurs mutations. Sa participation rappelle que Carthage n’est pas en marge du débat critique mondial, mais en constitue l’un des foyers essentiels.
Ce jury réunit également le réalisateur et producteur tunisien Lotfi Achour, le cinéaste algérien Lotfi Bouchouchi et la scénariste et réalisatrice rwandaise Kantarama Gahigiri. Cette pluralité d’expériences et de géographies traduit l’ADN du festival : croiser les récits, confronter les sensibilités et refuser toute hiérarchie implicite entre les cinémas.
La compétition des longs métrages documentaires est présidée par la réalisatrice tunisienne Raja Amari, entourée de la réalisatrice et productrice libanaise Eliane Raheb, de la productrice française Laura Nicolov, de l’artiste visuelle Nadia Kaabi Linke et du réalisateur sénégalais Alassane Diago. La présence de Laura Nicolov souligne l’ancrage européen du festival et l’importance des coproductions internationales. Elle témoigne aussi du rôle croissant des producteurs dans l’accompagnement de formes documentaires audacieuses, à la frontière du cinéma d’auteur et de la recherche artistique.
Les courts métrages et la section « Carthage Cinéma de Demain » sont placés sous la présidence du réalisateur et producteur irakien Hikmat Al-Baydani. Autour de lui, le critique et poète sénégalais Bassirou Niang, la réalisatrice et chercheuse soudanaise Sara Suleiman, le réalisateur libanais Elias Khalat et la réalisatrice tunisienne Nadia Raïs incarnent un regard résolument tourné vers l’avenir, attentif aux écritures émergentes et aux formes hybrides.
Enfin, la compétition « Première œuvre », prix Tahar Cheriaa, est présidée par la scénariste égyptienne Mariam Naoum, figure majeure de l’écriture cinématographique arabe contemporaine. À travers ce prix, Carthage continue d’honorer l’héritage de son fondateur tout en soutenant les premières voix, souvent fragiles mais essentielles, du cinéma de demain.
Plus qu’un festival, les Journées cinématographiques de Carthage demeurent un espace de résistance culturelle. Dans un monde saturé d’images standardisées, elles rappellent que le cinéma peut encore être un lieu de pensée, de friction et de liberté. En 2025, Tunis ne se contente pas d’accueillir des films : elle accueille des regards, des combats et des récits qui refusent le silence.
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