Marwa Eid Abdelmalek, discipline du corps et éthique de l’exil sportif
Il existe des trajectoires sportives qui ne se lisent ni à travers le palmarès seul ni à travers la narration héroïque habituelle. Elles se construisent dans la durée, par une accumulation de choix exigeants, d’adaptations silencieuses et de renoncements rarement visibles. Le parcours de Marwa Eid Abdelmalek appartient à cette catégorie. Une trajectoire où l’excellence ne s’affiche pas comme un slogan, mais s’impose comme une méthode.
Née le 27 novembre 1986 dans le quartier populaire d’Al-Sayyeda Zeinab, au Caire, Marwa Eid Abdelmalek grandit dans un environnement où le sport n’est pas un privilège mais un espace de discipline et d’apprentissage. Très tôt repérée au centre de jeunesse de Zeinhom, alors qu’elle n’a que cinq ans, elle découvre un cadre structurant, où le corps se forme avant de se montrer. À l’origine, son premier terrain n’est pas celui du handball. Elle pratique le football, évolue avec le club de Wadi Degla et intègre même la sélection nationale. Pendant plusieurs saisons, elle termine meilleure buteuse du championnat égyptien. Pourtant, ce n’est pas là que son parcours s’ancre durablement.
Le basculement vers le handball s’opère progressivement, sous l’influence directe de sa sœur aînée, Hanan Abdelmalek, ancienne capitaine de l’équipe féminine de handball du club Al Ahly. Ce choix marque un tournant décisif. En 1996, Marwa rejoint les rangs d’Al Ahly. Elle n’a alors que dix ans. Ce qui devait être une étape devient un cycle fondateur : quatorze années passées au sein du club, dans une continuité rare à ce niveau.
Avec Al Ahly, Marwa Eid Abdelmalek s’inscrit dans une période de domination quasi absolue du handball féminin en Égypte. Le club rafle l’ensemble des compétitions nationales, saison après saison. Les défaites sont exceptionnelles, presque anecdotiques. Cette régularité façonne une mentalité : celle de la rigueur, de l’exigence permanente et de la responsabilité collective. Marwa ne s’y distingue pas seulement par ses qualités techniques, mais par sa constance et sa capacité à répondre dans les moments décisifs.
Cette stabilité l’amène naturellement à intégrer l’équipe nationale égyptienne de handball dès 2003. Très vite, elle s’y impose comme un élément central. L’année 2004 constitue un sommet symbolique : lors du Championnat d’Afrique, elle termine meilleure buteuse de la compétition et reçoit le titre de meilleure ailière gauche du continent. À ce moment précis, son profil dépasse le cadre local. La question de l’internationalisation de sa carrière devient inévitable.
L’expérience de l’exil sportif, cependant, ne s’improvise pas. Une première tentative en Allemagne se solde par un retour précipité, après une semaine seulement. Le choc culturel, l’isolement et l’absence de repères rendent l’adaptation impossible. Cet échec, loin de l’affaiblir, agit comme un révélateur. Marwa choisit de patienter, de se préparer, de consolider ses bases. Soutenue par la direction d’Al Ahly, et notamment par Mahmoud El-Khatib, elle bénéficie d’un accompagnement rare à l’époque pour une joueuse.
Son véritable départ s’opère vers la France, au sein du club d’ONIS, alors engagé en troisième division. Là encore, rien n’est acquis. Mais son impact est immédiat. Par son efficacité et son leadership, elle contribue directement à la montée du club en deuxième division. Cette réussite ouvre la porte d’un autre niveau : elle rejoint ensuite l’OGC Nice Handball, club avec lequel elle s’installe durablement dans le paysage du handball français.
À Nice, Marwa Eid Abdelmalek ne se contente pas d’évoluer. Elle s’impose. Les saisons 2013–2014 et 2014–2015 en témoignent : meilleure buteuse du championnat avec respectivement 249 et 195 buts. Des chiffres qui traduisent non seulement une performance individuelle, mais une capacité à porter un collectif sur la durée. Progressivement, elle devient capitaine de l’équipe, rôle qui dépasse la simple dimension sportive. Elle incarne un point d’équilibre, un relais entre le staff, les joueuses et l’institution.
L’envers de cette réussite reste souvent invisible. Marwa évoque sans détour la difficulté de la langue, obstacle majeur de ses premières années en France. Cinq années sont nécessaires pour maîtriser pleinement le français. Cette lente conquête linguistique conditionne son intégration, son autonomie et son rapport à l’environnement professionnel. De cette expérience, elle tire une conviction claire : aucun projet d’internationalisation ne peut aboutir sans une appropriation réelle de la langue et du contexte culturel.
En 2024, un autre moment clé vient refermer un cycle et en ouvrir un nouveau. Après une période d’interruption liée à la suspension du programme féminin, Marwa fait son retour au sein de l’équipe nationale égyptienne pour la Coupe d’Afrique des Nations féminine. Cette fois, elle n’y revient pas comme une promesse, mais comme une référence. Leader d’expérience, elle apporte une stabilité rare à un collectif en reconstruction. Le symbole est fort lorsque, le jour même de son anniversaire, le 27 novembre 2024, elle est désignée meilleure joueuse du match face à la République démocratique du Congo, rencontre remportée par l’Égypte.
Malgré plusieurs propositions de naturalisation sportive, qui lui auraient ouvert l’accès à d’autres sélections et à des compétitions mondiales, Marwa Eid Abdelmalek a toujours refusé. Ce choix n’est pas idéologique. Il relève d’une fidélité assumée à un parcours, à une histoire, à un ancrage. Son ambition s’inscrit ailleurs : participer à la reconstruction durable du handball féminin égyptien et, à terme, transmettre son expérience en tant qu’entraîneuse de la sélection nationale.
Ce qui distingue profondément Marwa Eid Abdelmalek, ce n’est ni un geste spectaculaire ni une médiatisation excessive. C’est une éthique. Une manière de concevoir le sport comme un travail de fond, où la performance résulte de la discipline, de la patience et de la capacité à traverser les périodes de doute. De Sayyeda Zeinab à Nice, de l’apprentissage précoce à la maturité internationale, son parcours dessine une figure rare : celle d’une athlète pour qui l’exil n’a jamais été une rupture, mais un prolongement maîtrisé.
Bureau de Paris – PO4OR.