Mireille Mathieu à Byblos Une fidélité artistique entre mémoire, voix et Méditerranée
En 1974, lorsque Mireille Mathieu se produit pour la première fois à Byblos, dans le cadre du Festival international de Byblos, le Liban occupe encore une place singulière sur la carte culturelle méditerranéenne. Le pays est alors un carrefour vivant, ouvert aux circulations artistiques européennes, orientales et francophones. Ce concert, donné face à la mer, ne constitue pas un simple épisode de tournée, mais le point de départ d’un lien durable entre une grande voix française et un territoire qui la recevra comme l’une des siennes.
Sur la scène de Byblos, Mireille Mathieu interprète plusieurs titres emblématiques de son répertoire, parmi lesquels Adieu je t’aime, Pardonne-moi ce caprice d’enfant et Une histoire d’amour. Le public libanais découvre une artiste à la fois rigoureuse et généreuse, dont la voix puissante s’accorde naturellement à l’ampleur du lieu. Très vite, l’expérience dépasse le cadre du concert. La chanteuse évoquera plus tard la beauté du pays, la chaleur humaine, l’élégance de l’accueil, et cette sensation rare d’intimité partagée avec un public pourtant étranger.
Ce séjour libanais est également marqué par une rencontre déterminante avec Fairuz. Loin de toute mise en scène médiatique, leur échange s’inscrit dans une reconnaissance mutuelle entre deux figures majeures de la chanson, chacune ancrée dans une tradition différente mais portée par une même exigence artistique. L’année suivante, Mireille Mathieu invite Fairuz dans son émission télévisée en France, la présentant au public français non comme une curiosité orientale, mais comme une grande voix universelle. Cette apparition joue un rôle discret mais réel dans la diffusion du répertoire de Fairuz auprès d’un public européen élargi.
La mémoire de 1974 est également fixée sur disque avec l’album Mireille à Byblos, enregistré en public lors du concert. Ce témoignage sonore conserve l’empreinte d’un moment où la chanson française rencontrait un espace méditerranéen sans filtre ni artifice, dans une relation directe avec le lieu et son public.
Quarante et un ans plus tard, en 2015, Mireille Mathieu revient à Byblos. Le contexte a changé, le Liban aussi, mais l’attachement demeure intact. Le public francophone, fidèle depuis des décennies, accueille la chanteuse avec une ferveur rare. Dès son entrée en scène, tout concourt à installer une atmosphère solennelle et élégante : robe noire, orchestre en tenue formelle malgré la chaleur estivale, éclairages jouant entre le blanc, le violet et le rouge. La scène de Byblos retrouve, le temps d’une soirée, une dimension presque cérémonielle.
S’adressant au public, Mireille Mathieu rappelle qu’elle a chanté ici à ses débuts et prononce une phrase qui résume la nature de ce lien :
« Comme vous m’avez donné votre cœur, je vous donne le mien. »
Elle enchaîne alors un programme construit autour de ses chansons les plus connues, reprises en chœur par un public qui ne s’est jamais détaché de sa voix.
Malgré une annonce de pause relativement précoce, le concert gagne en intensité dans sa seconde partie. À près de soixante-dix ans, la chanteuse conserve une énergie scénique remarquable. Sa coiffure, inchangée depuis les années soixante, demeure un signe de continuité artistique, tandis que sa voix, entretenue avec une discipline constante, garde sa projection et sa netteté.
L’un des moments les plus émouvants survient lorsqu’elle présente sa mère, venue pour la première fois au Liban. La scène, d’une grande simplicité, provoque une ovation spontanée. Cette séquence intime révèle une dimension essentielle du personnage public de Mireille Mathieu : une artiste profondément attachée à ses origines familiales, à la fidélité et à la transmission.
Le concert se prolonge bien au-delà du temps prévu. Rien de Rien embrase les gradins, les téléphones s’illuminent, et l’orchestre accompagne une chanteuse qui semble refuser toute forme de retrait. Elle interprète des titres en plusieurs langues, s’adresse à la mer, au ciel, aux enfants, comme pour embrasser symboliquement l’ensemble du lieu.
À plusieurs reprises, elle tente de quitter la scène, mais les rappels incessants la ramènent devant le public. Lors de son ultime retour, elle apparaît sans ses chaussures de scène, vêtue d’un manteau de coulisses. Émue, souriante, elle conclut par ces mots simples et définitifs :
« Je ne t’oublierai pas, Byblos. »
Plus qu’un concert, cette soirée s’impose comme la confirmation d’une relation artistique fondée sur la durée, la loyauté et une mémoire partagée. Mireille Mathieu, parfois marginalisée par les récits contemporains de la chanson française, demeure à Byblos une figure vivante, pleinement inscrite dans l’histoire affective et culturelle du Liban.
Ali AL-Hussien -PARIS