Najwa Benchebab Naim ou le réapprentissage de l’écoute du corps et de la mémoire

Najwa Benchebab Naim ou le réapprentissage de l’écoute du corps et de la mémoire
Najwa Benchebab Naim, entre pratique du soin et création artistique, ou l’art comme espace d’écoute

À la frontière du soin et de la création, certains parcours refusent les cloisonnements artificiels. Ils avancent dans une zone plus fragile et plus exigeante, où l’art ne se donne pas comme un spectacle et où le soin ne se réduit jamais à une méthode. Le travail de Najwa Benchebab Naim s’inscrit précisément dans cet espace rare. Un espace d’écoute, de lenteur et de réappropriation de l’expérience humaine.

Psychologue, psychothérapeute et psychopédagogue, elle développe parallèlement une pratique artistique plurielle qui traverse la poésie, la photographie et la présence scénique. Ces domaines ne fonctionnent pas comme des territoires distincts mais comme des continuités. Ce qui les relie n’est ni un thème ni un discours. C’est une posture. Une manière d’être au monde fondée sur l’attention, la retenue et le respect du rythme de l’autre.

L’écoute comme fondement

Chez Najwa Benchebab Naim, l’écoute n’est pas une compétence technique. Elle constitue un principe fondateur. Écouter signifie accepter les silences, les ruptures, les zones d’opacité. Le corps n’est jamais réduit à un symptôme. La mémoire n’est jamais traitée comme un simple récit du passé. Tous deux sont envisagés comme des espaces vivants, traversés par des strates de vécu individuel et collectif.

Cette posture traverse aussi bien la pratique clinique que le travail artistique. Dans ses textes, ses lectures publiques et ses images, le sens ne s’impose jamais frontalement. Il se laisse approcher lentement. Chaque fragment ouvre une possibilité de compréhension sans jamais chercher à clore l’interprétation.

Une pratique sans séparation entre soin et création

Dans ce parcours, l’art ne vient pas compléter le soin et le soin ne sert pas de justification à l’art. Les deux procèdent d’un même mouvement. Il s’agit d’une continuité de présence plutôt que d’une juxtaposition de compétences.

Sur scène, la parole est mesurée. Le corps reste contenu. La voix n’est jamais forcée. Rien n’est livré à l’effet ou à la démonstration. Chaque mot semble issu d’un travail préalable de décantation, comme si l’essentiel avait déjà été traversé avant d’être partagé. Cette économie de gestes et de langage donne à ses interventions une densité particulière. Le spectateur perçoit moins une performance qu’un moment d’attention partagée.

La photographie comme espace de décantation

La photographie occupe une place centrale dans ce dispositif. L’image, chez Najwa Benchebab Naim, ne cherche ni l’impact immédiat ni la démonstration esthétique. Elle fonctionne comme un espace de résonance. Elle accueille ce qui ne peut être formulé autrement.

La série La 7ème vague, présentée notamment à la MAP Galerie à Bordeaux, s’inspire d’une légende amazighe issue de la région du Souss Massa, près d’Agadir. Le lieu, la grotte d’Imouran, devient un espace symbolique où se croisent féminité, mémoire et rituel. Les figures féminines y apparaissent en suspension, presque absorbées par le paysage, comme si leur présence se fondait dans la matière même du lieu.

Ce choix esthétique est déterminant. Il laisse volontairement place à l’invisible. L’image ne s’impose pas au regard. Elle invite à une lecture lente, attentive, où le non dit compte autant que ce qui est montré.

La mémoire comme matière vivante

Dans l’ensemble de ce travail, la mémoire n’est jamais figée. Elle n’est ni monumentalisée ni enfermée dans une narration linéaire. Elle est abordée comme une matière mouvante, fragmentaire, parfois instable. Une mémoire qui se manifeste autant par le corps que par la parole, autant par l’absence que par la trace.

Cette approche refuse toute mise en scène de la souffrance. Il ne s’agit ni de glorifier la douleur ni de l’exposer comme un objet. Le geste consiste plutôt à redonner au sujet la capacité de relier, de déplacer son regard sur sa propre histoire, sans forcer la cohérence ni la résolution.

Une présence culturelle ancrée dans la cité

Les engagements culturels de Najwa Benchebab Naim dans des projets artistiques et citoyens à Bordeaux, Paris ou Lormont révèlent une autre dimension essentielle de son parcours. Le soin y apparaît comme un geste social autant qu’individuel.

Lectures publiques, rencontres littéraires, expositions et collaborations avec des structures culturelles locales inscrivent la création dans des espaces partagés. Bibliothèques, théâtres, galeries et lieux associatifs deviennent des points de circulation de la parole et de l’image. L’art ne s’y impose pas comme un discours. Il ouvre des espaces d’écoute collective, sans posture militante ni effet de proclamation.

Contre la spécialisation rigide des pratiques

À l’heure où les disciplines tendent à se refermer sur leurs propres cadres, ce parcours propose une alternative discrète. Il rappelle que l’art et le soin interrogent une même question fondamentale. Comment rendre l’expérience habitable.

La démarche de Najwa Benchebab Naim ne se présente ni comme un modèle ni comme un manifeste. Elle s’inscrit dans le temps long, par ajustements successifs et par reprises. Elle accepte l’inachèvement comme condition de justesse et de sincérité.

Quand l’art devient le prolongement du soin, il cesse d’être un espace d’évasion pour redevenir un lieu de retour. Retour au corps comme porteur de mémoire. Retour à la mémoire comme espace de transformation possible.

Le parcours de Najwa Benchebab Naim ne promet ni réparation immédiate ni réponses définitives. Il propose autre chose. Une éthique de l’écoute. Une attention portée à ce qui, en chacun, cherche encore à être entendu. Dans un paysage culturel saturé de prises de parole, cette retenue constitue en elle même un geste profondément contemporain.

Bureau de Paris – PO4OR

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