Quand l’archéologie devient une langue commune Fouzi Ziadine, écrire la Jordanie dans la mémoire culturelle française
L’empreinte d’un archéologue ne se mesure ni au nombre de chantiers parcourus ni à l’accumulation des rapports techniques. Elle se mesure à sa capacité à transformer la pierre en connaissance, le site en récit, et le patrimoine en langue partagée. À ce titre, le parcours du docteur Fouzi Ziadine s’inscrit dans une catégorie rare : celle des chercheurs qui ont compris que l’archéologie n’est pleinement opérante que lorsqu’elle dialogue avec les cadres culturels qui la reçoivent.
Dès l’origine, Ziadine refuse une conception strictement descriptive de la discipline. Pour lui, le site archéologique n’est pas une relique figée mais un texte ouvert, traversé par des usages, des pouvoirs et des interprétations successives. Cette posture explique son choix d’un itinéraire académique exigeant au sein des institutions françaises les plus prestigieuses : formé à l’École du Louvre, il obtient ensuite un doctorat en arts et archéologie à l’Université de la Sorbonne. Ce passage par la tradition savante française ne relève pas du prestige, mais d’un apprentissage méthodologique : apprendre à lire l’Orient sans le réduire, à l’interpréter sans l’assigner.
Le terrain comme espace de pensée
De retour en Jordanie, Fouzi Ziadine engage un travail de fond sur des sites qui structurent l’histoire matérielle du pays. La Citadelle d’Amman, d’abord, véritable palimpseste urbain où s’entrelacent pouvoir politique, fonctions militaires et usages civils. Pétra, ensuite, non comme icône touristique mais comme système urbain complexe, pensé pour le commerce, la circulation et la mise en scène du pouvoir nabatéen. Qasr Amra, enfin, dont il éclaire la dimension politique et artistique : un lieu où l’image devient instrument de souveraineté au début de l’époque omeyyade. Sans oublier Iraq al-Amir, site singulier où se rencontrent héritage hellénistique et expressions locales.
À travers ces lieux, Ziadine ne se contente pas d’analyser des vestiges. Il interroge la manière dont chaque site produit du sens, hier comme aujourd’hui, et comment ce sens peut être transmis sans céder aux simplifications patrimoniales.
Écrire l’archéologie
Cette exigence se prolonge dans son travail d’écriture. Son ouvrage La Jordanie et la caravane des villes propose une lecture dynamique du territoire jordanien. Il ne s’agit pas d’une histoire linéaire, mais d’une réflexion sur la mobilité : circulation des hommes, des marchandises, des formes urbaines. Les villes y apparaissent comme des organismes en mouvement, façonnés par les routes, les échanges et les transformations politiques. Ce livre occupe une place singulière, à la frontière entre la recherche académique et l’essai de synthèse, accessible sans jamais renoncer à la rigueur.
Une reconnaissance française signifiante
L’attribution à Fouzi Ziadine du grade de Chevalier des Arts et des Lettres, au nom du ministre français de la Culture, dépasse le cadre honorifique. Dans la tradition culturelle française, cette distinction récompense celles et ceux qui contribuent à élargir l’espace du dialogue artistique et intellectuel. Elle reconnaît chez Ziadine non seulement un scientifique, mais un médiateur : un acteur capable d’inscrire le patrimoine jordanien dans une conversation culturelle européenne, sans l’extraire de son contexte.
L’artisan d’un partenariat durable
On qualifie souvent Fouzi Ziadine d’« artisan » de la coopération franco-jordanienne en archéologie. Le terme est juste. Il désigne un travail patient, discret, fondé sur la confiance institutionnelle et la précision scientifique. Loin des opérations spectaculaires, cette coopération s’est construite sur des échanges de méthodes, de savoirs et de regards. Dans un paysage culturel dominé par l’immédiateté, cette temporalité longue constitue en soi un acte de résistance intellectuelle.
Un portrait pour notre temps
À l’heure où la visibilité médiatique tend à primer sur la profondeur du travail, le parcours de Fouzi Ziadine rappelle que la connaissance se bâtit lentement. Son itinéraire incarne une figure essentielle pour notre époque : celle du chercheur capable d’habiter deux traditions sans les confondre, de faire dialoguer l’Orient et la France sans discours démonstratif, par la seule force du savoir.
Rédaction : PO4OR