Reem Kherici, l’autorité tranquille d’un cinéma sans excuses
Rien, dans le parcours de Reem Kherici, ne relève de l’irruption soudaine. Sa trajectoire se dessine dans la durée, par strates successives, à mesure qu’elle apprend à occuper chaque espace du cinéma : celui du jeu, de l’écriture, de la mise en scène et, enfin, de la production. Cette progression silencieuse, loin des récits spectaculaires, a fini par installer une autorité rare dans le cinéma français contemporain.
Née le 13 février 1983 à Neuilly-sur-Seine, Reem Kherici grandit en France dans un environnement marqué par la pluralité culturelle. D’origine algérienne par son père et italienne par sa mère, elle n’a jamais fait de cette donnée biographique un étendard ni un argument de positionnement. Chez elle, l’identité ne s’énonce pas, elle s’intègre. Cette manière d’habiter la complexité sans la transformer en discours constituera l’un des fils conducteurs de son itinéraire.
Apprendre par le terrain
Avant de passer derrière la caméra, Reem Kherici s’impose comme actrice, notamment à travers la comédie, un genre longtemps sous-estimé par la critique mais central dans la relation au public. Très tôt, elle comprend que la comédie n’est pas un espace de facilité mais un laboratoire exigeant, où le rythme, la précision du jeu et la compréhension des attentes collectives sont déterminants. Cette école du terrain lui offre une connaissance concrète des mécanismes de réception, loin des abstractions théoriques.
Plutôt que de se contenter d’un statut d’interprète, elle observe, analyse et apprend. Les tournages deviennent des lieux d’apprentissage global : écriture, mise en scène, direction d’acteurs, production. Cette curiosité méthodique prépare la suite sans jamais l’annoncer comme un manifeste.
Écrire, réaliser, produire : le choix de la maîtrise
Le passage à la réalisation n’est ni soudain ni opportuniste. Il répond à une nécessité : reprendre la main sur les récits. Reem Kherici écrit ses films comme on construit un espace autonome, pensé dès l’origine pour être mis en scène selon ses propres règles. Elle refuse la dissociation classique entre l’auteur, le réalisateur et l’interprète, préférant un modèle intégré où la cohérence prime sur la spécialisation.
Ce choix est stratégique autant qu’artistique. Dans une industrie où les femmes réalisatrices restent minoritaires, et plus encore dans le registre de la comédie grand public, s’imposer suppose une autorité claire sur le projet. Kherici ne la revendique pas verbalement ; elle l’exerce par le travail, la constance et la capacité à mener ses films jusqu’au bout.
Le populaire comme espace politique discret
Contrairement à une idée reçue, le cinéma populaire n’est pas chez elle un renoncement à la complexité. Il devient au contraire un espace d’observation sociale. Les relations amoureuses, les injonctions faites aux corps, les normes de réussite, les contradictions contemporaines y sont abordées sans lourdeur, par le biais de situations accessibles, parfois burlesques, toujours lisibles.
Cette approche confère à son cinéma une dimension politique non déclarative. Rien n’est asséné, tout est mis en situation. Le spectateur est invité à reconnaître, à rire, parfois à se déranger lui-même. Cette intelligence du détour constitue l’une des signatures les plus constantes de son travail.
Un succès mondial pensé dans la durée
L’aboutissement le plus visible de cette trajectoire est le film Dog and Cat, projet de long terme sur lequel Reem Kherici travaille pendant plus de sept ans. Doté d’un budget exceptionnel pour un film français réalisé par une femme, le long métrage dépasse le million de spectateurs en salles avant de connaître un succès international majeur sur Netflix, où il se classe numéro un mondial.
Ce succès n’est ni accidentel ni purement conjoncturel. Il repose sur une compréhension fine des attentes contemporaines, sur une narration pensée pour circuler au-delà des frontières et sur une capacité à dialoguer avec l’industrie sans se laisser absorber par elle. Kherici démontre ici qu’un cinéma français ambitieux peut exister hors des oppositions stériles entre art et commerce.
Une figure féminine sans discours imposé
Dans un contexte où les figures féminines sont souvent sommées de se positionner explicitement, Reem Kherici adopte une autre voie. Elle ne nie pas les déséquilibres, mais refuse d’en faire un argument marketing. Sa position est celle de la preuve par l’exemple : écrire, réaliser, produire, réussir, recommencer. Cette constance vaut prise de position.
Elle parle du corps féminin, de l’âge, du désir, de la transformation, sans jamais céder à la dramatisation forcée. Le rire devient un outil de déplacement, un moyen de désamorcer les injonctions tout en les rendant visibles. Cette approche lui permet de toucher un public large sans renoncer à une lecture exigeante de la société.
Une relation directe au public
Reem Kherici entretient un rapport fluide avec son public, notamment à travers les réseaux sociaux. Loin de la mise en scène permanente, elle y partage le travail en cours, les étapes de création, les doutes et les réussites. Cette transparence participe d’une image d’artiste accessible, mais surtout d’une professionnelle consciente des nouvelles modalités de circulation des œuvres.
Ce lien direct ne remplace pas la médiation critique, mais la complète. Il inscrit son travail dans un présent actif, connecté, où le cinéma dialogue avec son époque sans nostalgie ni cynisme.
Une trajectoire de continuité
Ce qui frappe, à l’observation du parcours de Reem Kherici, c’est l’absence de rupture spectaculaire. Tout s’inscrit dans une continuité maîtrisée. Chaque film prolonge le précédent tout en élargissant le champ. Chaque succès est utilisé comme un levier, jamais comme un aboutissement définitif.
Elle appartient à une génération qui a compris que la légitimité ne se décrète pas mais se construit, projet après projet, dans un rapport lucide à l’industrie. Cette lucidité, alliée à une énergie de travail constante, fait d’elle une figure durable du paysage cinématographique français.
Une place singulière dans le cinéma français
Aujourd’hui, Reem Kherici occupe une position rare : celle d’une cinéaste populaire, autonome, reconnue par le public et identifiée par l’industrie comme une force créative fiable. Elle échappe aux catégories habituelles, ne se laisse réduire ni à son genre, ni à son origine, ni à un registre unique.
Son cinéma raconte moins une ascension qu’une installation. Une manière d’être là, durablement, sans fracas inutile, mais avec une autorité tranquille. À ce titre, son parcours constitue un objet d’analyse précieux pour comprendre les mutations actuelles du cinéma français, entre plateformes, salles, nouvelles écritures et redéfinition des rôles.
Reem Kherici n’est pas seulement une réussite individuelle. Elle est le symptôme d’un déplacement plus large : celui d’un cinéma qui accepte enfin que la maîtrise, la popularité et l’exigence puissent coexister sans se contredire. C’est dans cette zone d’équilibre, rare et précieuse, que s’inscrit son œuvre.
Rédaction : Bureau de Paris – PO4OR