Rima Abdul Malak ou la culture au pouvoir
Accéder aux sommets du pouvoir culturel en France ne relève ni du hasard ni de la seule reconnaissance intellectuelle. Cela suppose un itinéraire construit dans la durée, une connaissance intime des mécanismes de l’État et une capacité rare à penser la culture comme un champ stratégique où se jouent à la fois la cohésion nationale, le rayonnement international et la gestion des fractures contemporaines. Le parcours de Rima Abdul Malak s’inscrit précisément dans cette architecture exigeante du pouvoir, à l’endroit où la culture cesse d’être un discours pour devenir un outil de gouvernement.
Française d’origine libanaise, Rima Abdul Malak appartient à une génération de hauts responsables pour lesquels l’identité n’est plus un récit à mettre en scène ni un héritage à défendre publiquement. Elle constitue un fait intégré, presque silencieux, qui informe une manière d’être au monde sans jamais se substituer à la compétence. Dans un pays où la culture est à la fois un pilier républicain et un terrain de tensions symboliques, cette discrétion n’est pas neutre. Elle traduit une maîtrise des codes de l’institution française, fondée sur la primauté de la fonction et de l’intérêt général.
Lorsqu’elle rejoint le palais de l’Élysée en décembre 2019 en tant que conseillère culture, Rima Abdul Malak entre au cœur d’un dispositif où la culture est pensée comme un levier transversal. À ce niveau de l’État, il ne s’agit plus de soutenir des projets ou de valoriser des artistes, mais de structurer une vision. La culture devient un langage diplomatique, un outil de cohésion sociale et un vecteur de projection de la France dans un monde fragmenté. Elle participe de la souveraineté au même titre que l’éducation, la recherche ou la politique étrangère.
À l’Élysée, la question culturelle est indissociable de la question politique. Elle engage la représentation de la nation, la manière dont l’État se raconte à lui-même et aux autres, et la façon dont il arbitre entre liberté de création et responsabilité publique. Dans ce contexte, le rôle de la conseillère culture ne relève pas du commentaire, mais de l’élaboration. Il s’agit d’anticiper, de hiérarchiser, de trancher parfois, dans un champ où les sensibilités sont multiples et les équilibres fragiles.
La nomination de Rima Abdul Malak au ministère de la Culture prolonge cette logique. Elle ne constitue ni une rupture ni une récompense symbolique, mais une continuité fonctionnelle. Le ministère apparaît alors non comme une tribune, mais comme un centre de pilotage. Il concentre des enjeux structurants. Le financement public de la création, la protection du patrimoine, la régulation des industries culturelles, l’adaptation aux mutations numériques et la défense de l’exception culturelle française dans un cadre européen et mondial.
Dans ce cadre, la méthode Abdul Malak se distingue par sa sobriété. Peu de déclarations spectaculaires, peu de mises en scène personnelles, mais un travail d’arbitrage constant entre des intérêts parfois contradictoires. La culture n’est pas idéalisée. Elle est administrée. Cette approche tranche avec une vision romantique ou militante du ministère. Elle inscrit l’action culturelle dans une temporalité longue, celle des politiques publiques, où l’efficacité se mesure moins à l’effet immédiat qu’à la solidité des dispositifs mis en place.
Paris occupe dans ce portrait une place déterminante. Non comme décor prestigieux, mais comme centre névralgique de la décision culturelle. Capitale historique de la centralisation française, Paris concentre les institutions, les réseaux, les symboles. Gouverner la culture depuis Paris implique de gérer cette centralité sans l’ériger en dogme. Il s’agit de maintenir un équilibre entre la puissance normative de la capitale et la nécessité de penser la culture à l’échelle des territoires, dans une France diverse et socialement fragmentée.
Paris est aussi une ville qui s’observe elle-même. Elle produit des normes culturelles tout en doutant de leur légitimité dans un monde globalisé. Cette tension permanente entre héritage et adaptation traverse l’action de Rima Abdul Malak. Gouverner la culture aujourd’hui, c’est accepter que le modèle français ne soit plus hégémonique tout en refusant sa dilution. C’est défendre une vision exigeante de la création sans l’isoler des réalités économiques et sociales.
La question de l’identité, enfin, traverse ce parcours sans jamais s’imposer comme un thème autonome. Elle n’est ni revendiquée ni effacée. Elle agit en profondeur, comme une capacité accrue à percevoir la complexité des appartenances et des récits. Dans un contexte où l’origine est souvent instrumentalisée, tantôt comme soupçon, tantôt comme label, Rima Abdul Malak incarne une troisième voie. Celle de l’identité comme compétence silencieuse, comme aptitude à comprendre des mondes multiples sans perdre le sens de la structure centrale.
C’est précisément cette combinaison qui confère à son parcours une valeur éditoriale forte. Non parce qu’elle représenterait une origine ou une diversité abstraite, mais parce qu’elle incarne une transformation réelle du mode de gouvernance culturelle en France. Elle n’est ni une figure de vitrine ni un symbole de communication. Elle est une actrice institutionnelle à part entière, inscrite dans une logique d’État.
Dans une revue qui considère la culture comme un champ de pouvoir et Paris comme un centre de décision avant d’être une scène, ce portrait dépasse la simple biographie. Il devient une analyse du fonctionnement contemporain de la souveraineté culturelle française, à travers le parcours d’une femme qui en maîtrise les codes, les contraintes et les responsabilités.
Bureau de Paris – PO4OR