Sayyid El Alami, la construction patiente d’un acteur entre récit intime et histoire collective

Sayyid El Alami, la construction patiente d’un acteur entre récit intime et histoire collective
Sayyid El Alami, acteur franco-marocain né en 1998, s’impose par une trajectoire construite dans le temps long, entre récits intimes et mémoire collective.

Sayyid El Alami n’a pas construit sa place par accumulation, mais par sélection. D’un projet à l’autre, son parcours dessine une ligne claire : celle d’un acteur attiré par les récits où l’intime dialogue avec l’histoire, où la fiction se confronte à des réalités sociales précises. Cette cohérence, encore rare à ce stade d’une carrière, mérite aujourd’hui d’être regardée pour ce qu’elle est : une méthode.

Né en 1998, Sayyid El Alami appartient à une génération pour laquelle la question des origines ne constitue plus un manifeste, mais un état de fait. Il ne revendique pas une identitéivra à travers ses choix de rôles. Son travail ne s’organise pas autour d’un discours identitaire explicite, mais autour d’une capacité à habiter des personnages pris dans des zones de tension : tension entre croyance et doute, entre histoire individuelle et tragédie collective, entre jeunesse et héritage.

Sa première reconnaissance internationale intervient avec Messiah (2020), série américaine à diffusion mondiale. Dans ce thriller politique et spirituel, El Alami apparaît au cœur d’un dispositif narratif complexe, où la foi, la manipulation et le regard médiatique s’entrelacent. L’enjeu de la série ne réside pas tant dans ses rebondissements que dans la manière dont elle interroge la croyance contemporaine. Pour un acteur aussi jeune, cette expérience constitue moins une vitrine qu’une école : travailler dans un cadre international, multilingue, soumis à des attentes élevées, forge une discipline et une précision de jeu qui marqueront la suite de son parcours.

Mais c’est véritablement avec Oussekine (2022) que Sayyid El Alami s’inscrit durablement dans le paysage audiovisuel français. La mini-série, consacrée à la mort de Malik Oussekine et à ses répercussions politiques et sociales, occupe une place singulière dans la mémoire collective française. Elle ne se contente pas de reconstituer un drame ; elle interroge un rapport à l’État, à la violence institutionnelle, à la justice et à la responsabilité. S’inscrire dans un tel projet suppose une rigueur particulière : ici, l’acteur ne peut ni surjouer ni s’effacer. Il doit trouver une justesse qui respecte à la fois la vérité historique et la nécessité dramatique.

Dans Oussekine, El Alami participe à une œuvre où chaque geste est chargé de sens. La série exige une forme de retenue, une écoute constante de l’ensemble. C’est précisément dans cette économie de moyens que se révèle l’une de ses qualités majeures : une capacité à laisser advenir le personnage sans l’écraser par l’intention. Son jeu repose sur une présence calme, parfois presque silencieuse, qui laisse au spectateur l’espace nécessaire pour penser, plutôt que pour consommer une émotion prémâchée.

Cette approche trouve un prolongement naturel au cinéma avec And Their Children After Them (2024), film de passage à l’âge adulte qui explore la jeunesse, ses fractures, ses élans et ses désillusions. Dans ce récit sensible, Sayyid El Alami incarne une génération confrontée à la fin des certitudes, à la difficulté de se projeter, à la nécessité de composer avec un monde hérité plus qu’choisi. Sa performance, saluée par une nomination au Lumière du meilleur espoir masculin, marque une étape décisive : elle confirme que son travail ne relève pas de la promesse, mais déjà d’une reconnaissance professionnelle solide.

Ce qui frappe, dans l’ensemble de son parcours, c’est la cohérence des choix. El Alami ne cherche pas à multiplier les registres de manière artificielle. Il privilégie des œuvres où le récit s’ancre dans une réalité sociale, historique ou morale identifiable. Ses personnages évoluent dans des cadres précis, souvent traversés par des tensions collectives. Cette orientation n’a rien d’idéologique ; elle relève d’une compréhension fine du rôle de l’acteur comme médiateur entre une histoire et un public.

Son jeu se caractérise par une intériorité maîtrisée. Là où d’autres misent sur l’expressivité immédiate, il travaille la durée, la retenue, l’ambiguïté. Cette posture s’inscrit dans une tradition européenne du jeu d’acteur, attentive au hors-champ, à ce qui se joue en creux. Elle s’oppose à une logique de performance spectaculaire et renvoie à une conception du cinéma et de la télévision comme espaces de réflexion autant que de narration.

Dans le contexte actuel du cinéma français, marqué par une recomposition des figures et des récits, Sayyid El Alami occupe une place singulière. Il incarne une nouvelle génération d’acteurs capables de circuler entre productions internationales et œuvres ancrées dans l’histoire nationale, sans dilution ni compromis excessif. Cette capacité à naviguer entre plusieurs espaces culturels, sans les hiérarchiser, correspond à une réalité contemporaine que PO4OR s’attache à documenter : celle de trajectoires transversales, construites dans l’entre-deux, loin des catégories figées.

Il serait tentant de projeter trop vite sur lui le statut de « révélation » définitive. Mais son intérêt réside précisément dans le refus de la précipitation. Son parcours suggère une construction patiente, attentive, presque artisanale. Chaque rôle semble pensé comme une étape, non comme une finalité. Cette temporalité lente, dans un paysage médiatique soumis à l’urgence, constitue en soi une position artistique.

À ce stade de sa carrière, Sayyid El Alami n’est pas un acteur arrivé, mais un acteur en devenir au sens noble du terme : un devenir déjà structuré, déjà lisible. Ses choix dessinent une ligne claire, où l’exigence prime sur la visibilité, où la cohérence l’emporte sur la dispersion. C’est cette qualité, rare et précieuse, qui justifie pleinement un portrait aujourd’hui : non pour figer une image, mais pour saisir un mouvement, une trajectoire en cours, fidèle à une certaine idée du jeu, du récit et de la responsabilité artistique.

Bureau de Paris – PO4OR

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