Waciny Laredj : l’Orient comme source, Paris comme lentille, l’écriture comme pont entre les mondes
Ali Al-Hussien – PO4OR, Portail de l’Orient
Il existe des écrivains dont l’œuvre ne se contente pas d’habiter un territoire ; elle en éclaire plusieurs à la fois.
Chez Waciny Laredj, l’un des romanciers majeurs du Maghreb contemporain, cette pluralité constitue le cœur même de son projet littéraire.
L’Orient est son axe fondateur, sa mémoire, sa blessure, son souffle.
Paris, en revanche, est la lentille qui permet à cette mémoire de se déployer, de se reformuler, de devenir lisible pour le monde.
Entre ces deux pôles, l’écriture de Laredj dessine un espace de passage — un pont sensible où la littérature devient un lieu d’écoute, de transmission et de réconciliation possible entre les cultures.
L’Orient comme matrice narrative
Tous les romans de Laredj s’enracinent dans une géographie intérieure profondément orientale.
L’Orient qu’il explore n’est ni exotique ni muséal ; il est vivant, traversé de contradictions, de drames historiques et de résiliences silencieuses.
Cet Orient est multiple :
- l’Andalousie perdue, mémoire éclatée de civilisations disparues ;
- Alger déchirée par la violence politique ;
- Damas en quête de sens au milieu du fracas du monde ;
- Baghdad, blessée mais obstinée à raconter son histoire ;
- les rivages méditerranéens, zones de passage et de métissage.
Dans tous ces lieux, la question centrale est la même :
comment un peuple raconte-t-il sa propre histoire lorsqu’il porte en lui les traces du déracinement, de la conquête, de l’exil ou du deuil ?
Laredj écrit l’Orient non pas comme un décor, mais comme un destin collectif.
Paris : non pas une fuite, mais un espace de relecture
Lorsque Laredj s’installe à Paris, ce n’est pas pour s’éloigner de l’Orient, mais pour le regarder autrement.
Paris devient pour lui un poste d’observation, un lieu d’analyse, un laboratoire d’écriture.
La ville-monde, avec ses cafés, ses langues qui se croisent, ses bibliothèques, ses diasporas, devient le cadre idéal pour repenser l’histoire et les identités arabes.
Dans cette capitale marquée par l’héritage colonial mais aussi par l’ouverture culturelle, Laredj trouve un espace intellectuel où le passé oriental peut être revisité, questionné, transformé en littérature.
Paris n’efface pas l’Orient ; elle le révèle.
Elle lui offre :
- le recul nécessaire pour comprendre la mémoire ;
- le terrain philosophique pour interroger les ruptures historiques ;
- et surtout, un public capable de lire l’Orient sans le réduire à un cliché.
Une écriture à double ancrage : dense, savante, profondément humaine
Dans ses romans, les deux rives dialoguent sans cesse.
La voix orientale porte la profondeur historique, la densité symbolique, l’héritage mystique.
La perspective parisienne apporte la clarté narrative, la distance critique, et l’ambition universelle.
Ainsi, l’œuvre de Laredj échappe aux catégories :
elle est maghrébine et mondiale, orientale et européenne, intime et politique.
À travers cette hybridité, il parvient à concevoir une littérature où le lecteur français découvre un Orient intérieur, où le lecteur arabe retrouve une vérité partagée, et où les deux comprennent qu’ils appartiennent à la même histoire humaine.
L’écrivain-passeur : une figure rare dans le monde francophone
Laredj n’est pas seulement un romancier ; il est un médiateur discret mais essentiel.
Dans ses cours à la Sorbonne, comme dans ses conférences parisiennes, il fait dialoguer les traditions littéraires arabes et européennes.
Son œuvre, traduite, commentée, étudiée, circule de Paris vers Alger, de Damas vers Montréal, de Grenade vers Bruxelles.
Il fait partie de ces auteurs qui démontrent que la langue peut devenir un territoire commun entre plusieurs mémoires
Pourquoi son œuvre résonne-t-elle si fortement à Paris ?
Parce qu’elle propose exactement ce qui manque souvent au débat public occidental :
une vision du monde arabe qui n’est ni simplifiée, ni romantisée, ni instrumentalisée.
Laredj écrit l’Orient tel qu’il est :
fragmenté mais magnifique, blessé mais digne, traversé par les contradictions de l’Histoire.
Paris, avec ses lecteurs, ses éditeurs, ses chercheurs, reconnaît dans cette œuvre une nécessité :
celle d’entendre une voix capable de dépasser les récits officiels pour raconter le monde depuis sa profondeur humaine.
Conclusion : une œuvre où l’Orient et Paris se donnent mutuellement sens
Pour Waciny Laredj, l’Orient n’est pas le passé, et Paris n’est pas l’exil.
L’un est la source, l’autre la lumière.
Entre les deux s’inscrit une œuvre d’une rare intelligence, où la littérature devient le lieu d’un possible rapprochement entre les cultures.
En faisant dialoguer Alger et Paris, Damas et la Sorbonne, l’Andalousie et les quais de la Seine, Laredj construit un espace littéraire qui n’appartient qu’à lui :
un espace où l’écriture répare, relie et réinvente le lien entre l’Orient et l’Occident.