Zeina Abdel-Baqi à Paris Quand Min Yossadeq devient un acte de présence

Zeina Abdel-Baqi à Paris Quand Min Yossadeq devient un acte de présence
Zeina Abdel-Baqi à Paris, lors de la présentation de Min Yossadeq dans le cadre du programme Sur le rivage.

Il y a des films qui voyagent. Et il y a des films qui arrivent.
L’entrée de Min Yossadeq à Paris relève de la seconde catégorie. Présenté dans le cadre du programme Sur le rivage, le premier long métrage de Zeina Abdel-Baqi ne se contente pas d’être projeté. Il s’inscrit. Il prend place. Il affirme une existence cinématographique qui n’attend ni validation symbolique ni traduction culturelle.

Paris n’est pas ici une vitrine. C’est un espace d’exposition critique. Un lieu où le cinéma arabe contemporain est regardé, interprété, parfois enfermé dans des grilles de lecture prévisibles. En choisissant d’y entrer avec Min Yossadeq, Zeina Abdel-Baqi engage son film dans un dialogue exigeant. Elle ne cherche pas à représenter. Elle cherche à confronter.

Min Yossadeq raconte l’histoire de Nadine, une jeune femme dont la solitude affective devient un terrain vulnérable. Elle rencontre un homme qui lui offre attention et reconnaissance. Peu à peu, cette relation se transforme en engrenage. Des opérations d’arnaque s’installent. Les frontières morales se déplacent. Nadine n’est ni naïve ni innocente. Elle est prise dans une mécanique douce, presque invisible, où l’affect précède la faute.

Ce qui distingue immédiatement le film, c’est sa retenue. Rien n’est expliqué. Rien n’est surligné. La mise en scène refuse le spectaculaire. Elle avance par glissements. Par silences. Par regards qui ne cherchent pas à convaincre. Cette économie de moyens n’est pas une limitation. C’est une méthode. Zeina Abdel-Baqi filme la zone grise. Celle où les décisions se prennent sans déclaration. Celle où la responsabilité se dilue dans le désir d’être vue.

Cette approche trouve à Paris un terrain de résonance particulier. Dans le cadre du programme Sur le rivage, pensé comme un espace de circulation entre le Machrek, le Maghreb et l’Europe, Min Yossadeq ne fonctionne pas comme un film à contextualiser, mais comme une proposition autonome. Le public n’est pas invité à comprendre une société lointaine. Il est invité à reconnaître une situation. Et cette reconnaissance est immédiate.

L’un des gestes les plus forts du film réside dans son refus du jugement. Nadine n’est jamais filmée comme une victime idéale ni comme une coupable désignée. Elle est observée dans ses contradictions. Cette posture rare place le spectateur dans une position inconfortable. Il doit décider seul. Il doit accepter de ne pas être guidé. Ce déplacement du regard est au cœur du projet de Zeina Abdel-Baqi.

Formée à New York, ayant travaillé entre l’Égypte, les États-Unis et le Royaume-Uni, la réalisatrice maîtrise les codes narratifs internationaux. Mais elle ne les utilise jamais comme une vitrine. Son cinéma reste ancré dans le réel. Dans les corps. Dans la temporalité lente des décisions ordinaires. Cette sobriété formelle donne au film une densité particulière, surtout dans un contexte parisien saturé de discours et de surinterprétations.

La direction d’acteurs participe pleinement de cette cohérence. Youssef Omar et Ghida Mansour incarnent des personnages sans chercher à susciter l’empathie immédiate. Leur jeu repose sur la retenue, sur une opacité assumée. Les apparitions d’acteurs confirmés comme Ashraf Abdel Baky, Sherif Mounir ou Ahmed Rizk s’intègrent sans rupture. Ils ne viennent pas porter le film. Ils en prolongent la texture.

L’arrivée de Min Yossadeq à Paris marque ainsi un moment charnière dans le parcours de Zeina Abdel-Baqi. Non comme une consécration prématurée, mais comme une affirmation de méthode. Elle montre que son cinéma peut circuler sans se diluer. Qu’il peut dialoguer avec des publics multiples sans renoncer à sa rigueur. Qu’il peut exister hors des catégories assignées.

Ce geste est d’autant plus fort qu’il s’inscrit dans un contexte où les cinéastes arabes sont souvent attendus sur le terrain du témoignage ou de la dénonciation explicite. Min Yossadeq refuse cette injonction. Il ne cherche pas à expliquer un système. Il montre comment il s’infiltre. Comment il se loge dans les relations intimes. Comment il transforme le manque affectif en levier de domination.

À Paris, cette lecture prend une dimension universelle. La ville devient un miroir. Ce qui se joue à l’écran dépasse largement le cadre égyptien. Le film parle de solitude urbaine. De la marchandisation des relations. De la difficulté à distinguer attention et contrôle. Ces thèmes traversent les sociétés contemporaines sans frontière.

Le programme Sur le rivage offre à ce film un cadre particulièrement juste. En le plaçant dans une réflexion sur les liens entre territoires, paysages et individus, il permet de lire Min Yossadeq comme un film de seuil. Un film qui se tient entre plusieurs espaces sans jamais chercher à les fusionner. Cette position intermédiaire est précisément celle de Zeina Abdel-Baqi aujourd’hui.

Son entrée parisienne n’est pas une tentative de reconnaissance. C’est une prise de place. Elle affirme que son cinéma n’a pas besoin d’être expliqué pour être entendu. Qu’il peut se tenir dans l’ambiguïté sans perdre sa force. Qu’il peut avancer sans slogan.

Dans un paysage cinématographique où la visibilité est souvent confondue avec la performance, Min Yossadeq propose autre chose. Une présence. Une durée. Une confiance dans l’intelligence du spectateur. Ce choix, exigeant, trouve à Paris un écho particulier. Il inscrit Zeina Abdel-Baqi dans une génération de cinéastes pour qui la circulation internationale n’est pas un objectif en soi, mais une conséquence naturelle d’un travail précis.

Avec Min Yossadeq, présenté dans Sur le rivage, Zeina Abdel-Baqi ne franchit pas seulement une frontière géographique. Elle affirme une position. Celle d’une réalisatrice qui sait où elle se tient. Et qui choisit Paris non comme une destination finale, mais comme un espace de confrontation fertile.

Bureau de Paris – PO4OR.

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