Acil Abdul Hadi, jouer comme on cherche

Acil Abdul Hadi, jouer comme on cherche
Entre recherche académique et interprétation cinématographique, Acil Abdul Hadi explore l’exil comme une expérience intérieure, où le jeu devient une forme de pensée.

Il est rare qu’un parcours artistique et un parcours académique ne se contentent pas de coexister, mais se nourrissent mutuellement jusqu’à former un même geste intellectuel. Chez Acil Abdul Hadi, le jeu d’actrice ne relève pas d’un espace parallèle à la recherche. Il en constitue le prolongement sensible. Loin d’une double identité cloisonnée, son itinéraire dessine une continuité discrète entre penser et interpréter, analyser et incarner.

Franco-libanaise, trilingue, Acil Abdul Hadi évolue à la croisée de plusieurs mondes culturels, linguistiques et symboliques. Cette pluralité ne se manifeste ni comme un argument promotionnel ni comme une posture identitaire. Elle agit en profondeur, dans sa manière d’habiter les rôles, de se situer dans les récits et d’interroger les notions de déplacement, d’appartenance et de transmission.

Formée initialement en psychologie à l’Université américaine de Beyrouth, puis en management à l’ESCP Business School à Paris, elle poursuit aujourd’hui une carrière académique de haut niveau. Docteure et professeure en gestion internationale des ressources humaines à l’ICN Business School, elle mène des recherches sur les carrières internationales, l’expatriation, la mobilité globale et les compétences interculturelles. Autant de thématiques qui résonnent, de manière presque organique, avec les récits cinématographiques dans lesquels elle s’engage.

Avant de rejoindre le monde académique, Acil Abdul Hadi a construit une solide expérience managériale au sein du groupe L’Oréal, entreprise emblématique de la mobilité internationale et de la diversité organisationnelle. Cette immersion dans les dynamiques concrètes du travail globalisé nourrit durablement son regard. Elle ne théorise pas l’exil ou la mobilité à distance. Elle en connaît les mécanismes, les tensions et les effets intimes. Cette connaissance du réel irrigue autant ses recherches que son rapport au jeu.

C’est précisément dans cet entre-deux que s’inscrit son travail d’actrice. Ses choix artistiques ne relèvent ni de l’accumulation ni de la visibilité à tout prix. Ils s’inscrivent dans une logique de cohérence. Les films auxquels elle participe interrogent presque systématiquement la notion de départ, de fracture, de mémoire et de lien au pays d’origine. Non pas comme une plainte, mais comme un espace de pensée.

Dans Exil intérieur, réalisé par Yvona Finianos et diffusé notamment sur la plateforme MK2 Curiosity, Acil Abdul Hadi participe à une œuvre qui explore l’exil non comme un événement spectaculaire, mais comme une condition silencieuse. Le film, tourné en arabe libanais et sous-titré en français, suit des trajectoires où la séparation d’avec le pays natal ne se formule pas toujours en mots. Le titre dit l’essentiel. L’exil n’est pas seulement géographique. Il est intérieur, diffus, parfois invisible. L’interprétation d’Acil Abdul Hadi s’inscrit dans cette retenue. Elle ne surligne pas l’émotion. Elle la laisse affleurer.

Cette même économie de moyens traverse On ne le quitte pas, on s’en arrache, Ghassa, documentaire de Hania Khoury consacré aux Libanais ayant quitté leur pays après l’explosion du port de Beyrouth en août 2020. Le film aborde l’immigration, la redéfinition du chez soi et la tentative de réconciliation avec un pays blessé. Là encore, la présence d’Acil Abdul Hadi s’inscrit dans une logique d’écoute et de justesse. Le jeu ne vient pas expliquer. Il accompagne.

Dans Dans les yeux de Maya, court-métrage de Salim Saab présenté au Festival du film libanais de France, elle tient un rôle principal aux côtés de Ralph El Khoury. En douze minutes, le film condense une relation complexe au Liban, faite d’attachement, de douleur et de lucidité. Le regard d’Acil Abdul Hadi y devient un espace narratif à part entière. Il ne s’agit pas de représenter un pays, mais de rendre perceptible un lien affectif fragmenté, jamais stabilisé.

Ce qui relie ces œuvres, au-delà de leurs formes, c’est une même approche du jeu. Une attention au détail, au silence, au non-dit. Une manière de refuser l’emphase pour privilégier la densité. Cette posture trouve un écho direct dans sa démarche de chercheuse. Étudier les carrières internationales, c’est interroger ce que le déplacement fait aux trajectoires, aux identités professionnelles et aux équilibres personnels. Jouer des rôles liés à l’exil, c’est explorer ces mêmes questions par d’autres moyens.

Acil Abdul Hadi ne cherche pas à jouer l’exil. Elle l’aborde comme un terrain de réflexion, un espace de friction entre l’individuel et le collectif. Son jeu n’est jamais démonstratif. Il s’inscrit dans une temporalité lente, parfois inconfortable, qui oblige le spectateur à rester attentif. Cette exigence rejoint celle de la recherche. Accepter la complexité. Refuser les réponses simplistes.

Son rapport aux langues participe également de cette démarche. Passer du français à l’arabe, de l’anglais à l’arabe dialectal, ce n’est pas seulement changer de registre linguistique. C’est modifier une posture, un rythme, une manière de dire et de se taire. Cette plasticité linguistique devient un outil de jeu, mais aussi un objet de réflexion sur la circulation des récits et des identités.

Loin des figures médiatiques standardisées, Acil Abdul Hadi s’inscrit dans une génération d’artistes-intellectuelles pour lesquelles la création n’est pas dissociée de la pensée. Son parcours ne relève ni de l’exception spectaculaire ni du cumul opportuniste. Il dessine une cohérence rare, fondée sur une même exigence de rigueur, que ce soit dans la salle de cours, dans le cadre d’une recherche scientifique ou face à la caméra.

À une époque où l’exposition permanente tend à lisser les trajectoires, son choix d’avancer à contre-rythme apparaît presque politique. Elle ne cherche pas à résoudre les tensions entre art et savoir, entre ici et ailleurs. Elle les travaille. Elle les maintient ouvertes. Et c’est précisément dans cet espace, celui de l’exil pensé, interrogé, incarné sans être figé, que son travail trouve sa singularité.

Rédaction : Bureau de Paris

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