Amal Al Salhi : écrire à Paris depuis les seuils de la langue et de l’exil

Amal Al Salhi : écrire à Paris depuis les seuils de la langue et de l’exil
Amal Al Salhi, poétesse marocaine installée à Paris, figure émergente de la poésie arabe contemporaine en exil.

À Paris, certaines voix poétiques ne s’imposent pas par le bruit ni par la revendication frontale. Elles avancent autrement, par la constance, par la précision du regard et par une fidélité intime à la langue. Amal Al Salhi appartient à cette génération émergente de poétesses arabes qui construisent leur présence dans la capitale française loin des effets de scène, mais au plus près de l’expérience vécue, de l’exil intérieur et des zones fragiles de l’identité.

Poétesse marocaine installée à Paris, Amal Al Salhi s’inscrit dans un parcours hybride, à la croisée du droit, de la musique et de l’écriture. Cette pluralité n’est pas un simple décor biographique : elle façonne une sensibilité littéraire attentive aux tensions, aux silences et aux fractures invisibles. Sa poésie ne cherche ni l’éclat ni la provocation. Elle explore les seuils, ces espaces intermédiaires où se rejouent la langue, la mémoire et l’appartenance.

Formée au droit à l’Université Mohammed V de Rabat, puis à la musique orientale à Paris, où elle étudie le oud, Amal Al Salhi développe très tôt une relation organique à la structure et au rythme. Le droit lui donne le sens de la rigueur, de l’argumentation et des cadres. La musique affine son rapport au souffle, à la cadence et à la suspension. La poésie naît de cette tension entre contrainte et liberté.

L’écriture apparaît comme un refuge, mais aussi comme une nécessité. Amal Al Salhi écrit pour donner voix à ce qui échappe aux discours dominants. Dans ses textes, la ville n’est jamais un simple décor. Paris est un espace traversé, parfois frontal, parfois distant, où se rejouent les questions de l’exil, de la langue et de la place accordée à la parole féminine arabe dans l’espace public européen.

Son choix de la poésie en prose n’est pas anodin. Il correspond à une volonté de se libérer des carcans formels sans rompre avec l’exigence littéraire. La prose poétique lui offre une respiration plus large, une souplesse qui épouse les mouvements de la pensée et de l’émotion. Elle y trouve un espace de sincérité, affranchi des contraintes métriques, capable d’accueillir les contradictions et les nuances.

En 2015, elle publie à Paris son premier recueil, Tati min makân lâ arâh (Je viens d’un lieu que je ne vois pas). Le titre, à lui seul, résume une grande part de sa démarche. Il ne s’agit pas d’un lieu géographique clairement identifié, mais d’un espace intérieur, fait de mémoire, de perte et de quête. Le recueil marque une étape importante : celle du passage de l’intime à l’espace public, avec la responsabilité que cela implique.

Cette publication ouvre à Amal Al Salhi les portes de plusieurs rencontres littéraires et événements culturels à Paris. Elle participe activement à des salons, des soirées poétiques et des initiatives collectives, notamment au sein de cercles réunissant des poètes arabes vivant en Europe. Ces espaces jouent un rôle essentiel : ils permettent aux voix émergentes de se confronter, de dialoguer et de s’inscrire dans une dynamique collective.

La reconnaissance ne tarde pas à suivre. Amal Al Salhi reçoit en 2011 le prix du meilleur blog arabe dans le cadre du concours Arabisk, puis remporte en 2013 le premier prix du concours de poésie arabe à Paris, organisé par le Centre culturel égyptien en partenariat avec des institutions médiatiques arabes. Ces distinctions ne constituent pas une fin en soi, mais elles confirment la justesse d’un cheminement fondé sur la patience et le travail.

Un autre axe fondamental de son univers poétique est son rapport à Al-Andalus. Pour Amal Al Salhi, l’Andalousie ne relève ni de la nostalgie touristique ni de l’ornement culturel. Elle représente une expérience existentielle, une mémoire partagée, un espace de projection identitaire. Ses voyages répétés dans les villes andalouses nourrissent une relation intime avec l’architecture, les ruelles, les traces laissées par les civilisations successives. L’Andalousie devient une métaphore de la traversée, du dialogue entre les cultures et de la perte féconde.

Cette relation à l’histoire et à la mémoire irrigue une réflexion plus large sur la condition de l’écrivain en exil. Dans ses prises de parole, Amal Al Salhi souligne l’importance de la poésie féminine arabe dans la diaspora. Elle insiste sur la diversité des voix, des thématiques et des formes, loin de toute vision homogène. L’exil, selon elle, n’est pas seulement une rupture, mais aussi un espace de recomposition et d’invention.

Son regard sur la critique littéraire est lucide. Face à la prolifération des textes sur les plateformes numériques, elle défend le rôle essentiel d’un regard critique rigoureux, capable de distinguer, d’analyser et de mettre en lumière les œuvres qui portent une véritable exigence esthétique. La critique, lorsqu’elle est honnête et argumentée, devient un partenaire de l’écriture, non un juge arbitraire.

La question de la lecture de la poésie à l’ère des réseaux sociaux revient souvent dans ses réflexions. Amal Al Salhi refuse l’idée d’un déclin. Pour elle, la poésie continue de trouver ses lecteurs, même si les modes de circulation ont changé. Les réseaux offrent une visibilité nouvelle, mais ils exigent aussi une vigilance accrue face à la superficialité et à la vitesse.

Aujourd’hui, Amal Al Salhi travaille à la finalisation d’un second recueil, encore inédit. Elle choisit la discrétion, préférant laisser le texte advenir à son rythme. Cette retenue est cohérente avec l’ensemble de sa démarche : une écriture qui se construit dans la durée, sans précipitation, attentive à la justesse plus qu’à l’exposition.

Soutenir une voix comme celle d’Amal Al Salhi, c’est reconnaître l’importance des trajectoires émergentes dans le paysage culturel parisien. C’est affirmer que la poésie arabe contemporaine, portée par une génération nouvelle, a toute sa place dans la capitale française. Une place qui se conquiert non par le bruit, mais par la persistance, la qualité et la profondeur du geste littéraire.

Rédaction : Bureau de Paris – PO4OR

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