Dima Wannous, écrire la Syrie depuis le silence parisien

Dima Wannous, écrire la Syrie depuis le silence parisien
À Paris, Dima Wannous écrit depuis la distance nécessaire pour affronter la peur et la mémoire syrienne.

Il existe des écrivains pour lesquels Paris n’est ni une destination rêvée ni un simple refuge géographique. Elle devient alors un espace mental, un lieu de décantation où l’écriture se libère de l’urgence pour affronter ce qui, longtemps, est demeuré indicible. La relation de Dima Wannous à Paris s’inscrit précisément dans cette configuration discrète et profonde, loin des récits spectaculaires de l’exil.

Née à Damas en 1982, Dima Wannous grandit dans un environnement où la parole n’est jamais neutre. Fille du dramaturge syrien Saadallah Wannous, figure majeure du théâtre politique arabe, elle hérite très tôt d’une conscience aiguë du pouvoir des mots et de leurs limites. Cette filiation n’est ni un fardeau ni un simple héritage symbolique. Elle constitue un point de départ, que l’écriture devra interroger, dépasser, parfois contredire.

Paris comme formation intellectuelle

Le lien de Dima Wannous avec Paris s’ancre d’abord dans le champ académique. Ses études de littérature française à Damas, puis à la Sorbonne, inscrivent son parcours dans une tradition intellectuelle où le texte est avant tout un lieu de questionnement. Paris, à travers l’institution universitaire, lui offre un rapport exigeant à la langue, à la structure narrative et à la pensée critique.

Cette formation parisienne ne produit pas une écriture mimétique ni une francisation du style. Elle façonne un regard. La littérature française, l’histoire des idées, les formes du roman moderne deviennent pour elle des outils d’analyse, des instruments pour comprendre les mécanismes du récit, mais aussi pour déconstruire les discours dominants. Paris agit ici comme un laboratoire intellectuel, non comme un modèle à imiter.

De Damas à Beyrouth, puis la nécessité de la distance

Avant que Paris ne s’impose comme espace de recomposition, Dima Wannous traverse d’autres villes du Levant. Elle vit à Beyrouth, travaille pour des médias imprimés, numériques et radiophoniques, collabore avec des titres majeurs comme Al-Hayat, As-Safir ou Al-Modon. Elle anime également une émission culturelle pour la chaîne Orient News et mène des entretiens avec des figures de l’opposition syrienne.

Cette immersion dans le champ médiatique arabe la place au cœur de l’actualité, de la parole politique et du récit immédiat. Mais cette proximité, si elle nourrit une connaissance fine des réalités syriennes, révèle aussi ses limites. L’urgence de l’événement, la saturation du discours et la violence de l’histoire rendent progressivement l’écriture plus difficile. C’est dans ce contexte que la distance devient nécessaire.

Paris ne représente pas une rupture brutale, mais une possibilité de retrait. Un espace où le silence est autorisé, où l’écriture peut se soustraire à l’obligation de commenter pour se concentrer sur l’essentiel.

Une œuvre née de l’observation et de l’ironie

Dès son premier recueil de nouvelles, Tafâsîl (2007), Dima Wannous se distingue par une écriture de l’observation minutieuse. Les neuf récits qui composent l’ouvrage dressent un panorama de la société syrienne à la veille de la révolution de 2011. Le ton est souvent ironique, parfois grotesque, mais jamais gratuit. Les personnages — officier de sécurité, rédacteur en chef, chauffeur de taxi — évoluent dans un univers marqué par la soumission, la peur et l’isolement.

Cette capacité à saisir les mécanismes invisibles du pouvoir annonce déjà une écriture qui refuse les simplifications. Loin des grands récits héroïques, Wannous s’attache aux détails, aux gestes ordinaires, aux compromis silencieux. Paris, plus tard, offrira le cadre nécessaire pour approfondir cette démarche, en la libérant de la pression du contexte immédiat.

Paris et l’écriture de Les Effrayés

C’est avec son roman Al-Khaifoun (Les Effrayés, 2017) que le lien entre Dima Wannous et Paris prend toute sa dimension. Le texte met en scène une narratrice confrontée à un manuscrit écrit par un ancien amant réfugié en Europe. Ce dispositif narratif ouvre un espace de mise en abyme où l’écriture devient elle-même objet d’enquête.

La peur, thème central du roman, n’est jamais traitée comme une émotion passagère. Elle est décrite comme une structure profonde, transmise de génération en génération, façonnant les comportements, les silences et les identités. Paris, dans ce processus, n’apparaît pas comme décor, mais comme condition de possibilité. C’est depuis cette distance que l’autrice peut affronter ce matériau intime et politique à la fois.

Wannous a elle-même comparé l’écriture du roman à une forme de psychothérapie. Les six mois de rédaction, suivis d’un long blocage, témoignent de la difficulté à écrire depuis l’exil, mais aussi de la nécessité de cette épreuve. Une fois le livre achevé, elle évoque un sentiment de respiration retrouvée. Paris a permis ce travail lent, douloureux, mais libérateur.

Une reconnaissance internationale façonnée par la distance

Le parcours de Dima Wannous est rapidement reconnu au-delà du monde arabe. Sélectionnée par le projet Beirut39 parmi les auteurs arabes les plus prometteurs de sa génération, elle est également finaliste du Prix international de la fiction arabe en 2018. La traduction française de Les Effrayés, réalisée par François Zabal, confirme l’inscription de son œuvre dans un espace littéraire transnational.

Cette reconnaissance ne transforme pas son écriture. Elle ne l’oriente pas vers un discours de représentation ou une adaptation aux attentes occidentales. Au contraire, Paris lui permet de maintenir une position exigeante, à distance des injonctions identitaires. Son œuvre refuse d’expliquer la Syrie. Elle la questionne.

Paris comme condition, non comme sujet

Ce qui distingue profondément Dima Wannous, c’est que Paris n’est jamais thématisée de manière frontale dans ses textes. Elle n’écrit pas sur Paris. Elle écrit depuis Paris. Cette nuance est essentielle. La ville fonctionne comme un cadre invisible, un espace où la pensée peut se déployer sans être immédiatement récupérée par le discours politique ou médiatique.

Dans cette perspective, Paris rejoint une tradition d’exil intellectuel où la distance n’est pas synonyme d’oubli, mais de lucidité. La capitale française devient un lieu où l’on peut regarder son pays sans être englouti par lui, où l’on peut écrire sans céder à la tentation de la justification ou de la nostalgie.

Une écriture du temps long

À l’image de son rapport à Paris, l’écriture de Dima Wannous s’inscrit dans le temps long. Elle avance sans précipitation, attentive aux fractures intérieures, aux silences, aux zones d’ombre. Dans un monde saturé de récits immédiats, cette lenteur apparaît comme une forme de résistance.

Dima Wannous incarne ainsi une génération d’écrivains orientaux pour qui Paris n’est ni une vitrine ni un refuge, mais un espace de travail exigeant. Un lieu où l’écriture peut enfin affronter la peur, la mémoire et la perte, sans se dissoudre dans le bruit du monde.

Rédaction : Bureau de Paris – PO4OR

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