Ghada Al Samman et Paris, une distance nécessaire pour une écriture affranchie
Paris n’a jamais été pour Ghada Al Samman une simple ville d’accueil. Elle fut un choix intime, un espace de retrait et de lucidité, où l’écriture pouvait se déployer loin du tumulte, des injonctions et des censures. Dans la capitale française, l’écrivaine syrienne a trouvé bien plus qu’un refuge : un territoire mental propice à la liberté, à la solitude féconde et à la maturation d’une œuvre qui interroge l’exil, la femme et le pouvoir des mots.
Ghada Al Samman et Paris, l’exil choisi d’une écrivaine arabe face à la liberté
Il existe des écrivains pour qui l’exil n’est pas une fuite, mais une décision consciente. Ghada Al Samman appartient à cette lignée rare d’intellectuelles arabes qui ont transformé l’éloignement géographique en espace de souveraineté intérieure. Entre elle et Paris, la relation ne relève ni du hasard ni de la posture littéraire. Elle s’inscrit dans un cheminement personnel et intellectuel, fait de ruptures, de silences et de reconstructions.
Née à Damas, révélée à Beyrouth, Ghada Al Samman s’est imposée très tôt comme une voix singulière dans la littérature arabe contemporaine. Journaliste, romancière, poétesse, elle a porté dès ses premiers textes une écriture indocile, traversée par la question de la liberté individuelle, du corps féminin et du refus des normes imposées. Ce positionnement lui a valu autant d’admiration que de controverses, dans un espace culturel arabe souvent réticent à l’égard des voix féminines trop affirmées.
Paris comme choix, non comme rupture
Lorsque Ghada Al Samman s’installe à Paris à partir des années 1970, elle ne rompt pas avec le monde arabe. Elle opère un déplacement stratégique. Paris lui offre une distance nécessaire, une respiration intellectuelle. Loin des tensions politiques, des attentes sociales et du regard constant de la censure, elle trouve dans la capitale française un lieu où l’écriture peut se déployer selon son propre rythme.
Paris n’est pas décrite chez elle comme une ville idéalisée. Elle n’en fait ni un mythe occidental ni un décor exotique. Elle l’habite comme un espace de travail, de solitude et d’observation. Cette sobriété dans le rapport à la ville renforce la crédibilité de son lien avec Paris. Il ne s’agit pas d’un exil romantique, mais d’un ancrage réfléchi.
Une ville propice à la solitude créatrice
Dans les textes et les entretiens de Ghada Al Samman, la solitude occupe une place centrale. À Paris, cette solitude devient un outil. La ville, dense et anonyme, permet paradoxalement de disparaître pour mieux écrire. Cette disparition volontaire est essentielle à son œuvre. Elle lui permet de se dégager des attentes, de refuser les rôles assignés et de construire une parole libre.
Paris agit ici comme un espace neutre, où l’écrivaine n’est ni réduite à son origine ni enfermée dans une représentation figée de la femme arabe. Elle y est d’abord une écrivaine. Cette reconnaissance implicite nourrit une écriture plus dépouillée, plus intérieure, marquée par une lucidité parfois douloureuse.
Paris dans l’imaginaire littéraire de Ghada Al Samman
La présence de Paris dans l’œuvre de Ghada Al Samman est souvent indirecte. La ville apparaît moins comme un lieu précis que comme une atmosphère. Elle se manifeste dans le thème de l’exil choisi, dans la réflexion sur l’identité fragmentée, dans le dialogue constant entre mémoire orientale et présent occidental.
Cette approche témoigne d’une maturité littéraire. Paris devient un miroir, un espace de confrontation entre les héritages et les libertés nouvelles. Elle permet à l’écrivaine de penser le monde arabe sans complaisance, mais aussi sans reniement. Cette position d’entre-deux confère à son écriture une profondeur particulière.
Une relation avec l’édition et la scène intellectuelle française
Installée à Paris, Ghada Al Samman fonde sa propre maison d’édition, un geste fort qui symbolise son refus de toute dépendance. Ce choix illustre sa volonté de maîtriser son œuvre, ses textes et leur diffusion. Plusieurs de ses livres sont publiés ou diffusés depuis Paris, et nombre d’entre eux sont traduits en français, permettant à son écriture de toucher un lectorat européen.
La scène intellectuelle française s’intéresse à son parcours, à la singularité de sa voix et à la dimension universelle de ses thèmes. Si Ghada Al Samman reste profondément attachée à la langue arabe, Paris lui offre une visibilité internationale et un cadre favorable à la transmission de son œuvre.
Entre Damas, Beyrouth et Paris
Le parcours de Ghada Al Samman se lit souvent à travers trois villes majeures. Damas représente l’origine et la mémoire. Beyrouth incarne la liberté conquise et l’effervescence intellectuelle. Paris, enfin, symbolise la distance critique et le temps long de l’écriture.
Cette géographie intime structure son œuvre. Paris n’efface ni Damas ni Beyrouth. Elle les met en perspective. Elle permet à l’écrivaine de regarder son propre monde avec une acuité renouvelée, sans nostalgie excessive ni fascination aveugle pour l’Occident.
Une figure féminine affranchie
À Paris, Ghada Al Samman consolide son image d’écrivaine indépendante. Elle refuse les étiquettes, se méfie des institutions et privilégie la liberté individuelle. Cette posture résonne avec une tradition intellectuelle française qui valorise l’autonomie de l’auteur et la primauté de la pensée critique.
Son écriture, marquée par la revendication du droit à l’amour, au désir et à la parole, trouve à Paris un espace de réception plus ouvert. Elle y est lue non comme une exception orientale, mais comme une écrivaine à part entière, dont les questionnements dépassent les frontières culturelles.
Paris comme espace de lucidité
Plus que l’exil, Paris offre à Ghada Al Samman un espace de lucidité. Elle y observe le monde arabe avec une distance salutaire, sans céder au ressentiment ni à l’idéalisation. Cette lucidité nourrit une œuvre dense, parfois sévère, toujours exigeante.
Loin du bruit médiatique, l’écrivaine cultive une discrétion qui contraste avec la force de ses textes. Paris accompagne ce retrait volontaire, permettant à l’œuvre de primer sur la figure publique.
Conclusion
La relation entre Ghada Al Samman et Paris ne se résume ni à une adresse ni à une période biographique. Elle relève d’un choix existentiel et littéraire. Paris a offert à l’écrivaine un espace de liberté, de solitude et de réflexion, sans jamais lui imposer un reniement de ses origines.
Dans cette ville, Ghada Al Samman a poursuivi une œuvre exigeante, affranchie et profondément humaine. Son parcours rappelle que l’exil, lorsqu’il est choisi, peut devenir un acte de création. Et que Paris, au-delà de son mythe, demeure pour certains écrivains un lieu où la liberté trouve encore droit de cité.
Ali Al-Hussien – PO4OR, Portail de l’Orient