Ghassan Salhab : quand Paris accueille un cinéma de la lenteur et de la mémoire

Ghassan Salhab : quand Paris accueille un cinéma de la lenteur et de la mémoire
Entre Beyrouth et Paris, Ghassan Salhab a construit un cinéma de la lenteur et de la mémoire, accueilli en France comme une forme exigeante de pensée visuelle.

Le cinéma de Ghassan Salhab occupe une place singulière dans le paysage audiovisuel arabe contemporain. Il ne se laisse ni apprivoiser par les catégories rapides ni réduire à une narration linéaire. Depuis ses premiers films, son œuvre avance à contre-courant, dans une temporalité intérieure où l’image ne raconte pas seulement une histoire, mais interroge le monde, la mémoire et l’expérience humaine. C’est précisément cette exigence formelle et intellectuelle qui a trouvé à Paris un espace d’écoute attentif, critique et durable.

Entre Beyrouth et la capitale française, la relation ne s’est jamais construite sur la logique de la visibilité ou de la reconnaissance spectaculaire. Elle repose sur une affinité plus profonde : celle d’un cinéma pensé comme acte de réflexion, où la lenteur, le silence et la fragmentation deviennent des outils de sens.

Un cinéma de l’écart et de la distance

Né à Dakar en 1958 et ayant grandi au Liban, Ghassan Salhab s’est formé dans un contexte marqué par les fractures politiques, la guerre civile et la question persistante de la mémoire collective. Très tôt, son cinéma s’est inscrit dans une démarche de distance critique vis-à-vis du réel immédiat. Là où d’autres cherchent à représenter l’événement, Salhab s’attache à en explorer les traces, les rémanences, les zones d’ombre.

Paris joue ici un rôle essentiel. Non comme lieu d’exil ou de rupture, mais comme espace de mise à distance intellectuelle. La ville offre un cadre où ce cinéma, souvent rétif aux codes narratifs dominants, peut être accueilli, analysé et discuté sans être sommé de se conformer.

Paris, espace de reconnaissance critique

Les films de Ghassan Salhab ont trouvé en France un terrain naturel de réception. Présentés dans des festivals, programmés dans des salles d’art et d’essai, projetés à la Cinémathèque française ou dans des institutions culturelles indépendantes, ils s’inscrivent dans une tradition cinématographique que le public français connaît et respecte : celle du cinéma d’auteur, exigeant, réflexif et formellement engagé.

Cette reconnaissance n’est pas seulement institutionnelle. Elle est aussi critique. Les écrits, débats et analyses consacrés à son œuvre en France soulignent la cohérence d’un regard, la rigueur d’un langage cinématographique et la capacité rare à penser le politique sans jamais céder au didactisme.

Une œuvre entre mémoire et silence

Le cinéma de Salhab se construit autour de motifs récurrents : la mémoire fragmentée, l’absence, le temps suspendu, le corps comme lieu de tension. Des films comme Beyrouth Fantôme, Terra Incognita, La Montagne ou La Vallée explorent des espaces mentaux autant que géographiques.

Dans ces œuvres, Beyrouth n’est jamais une simple ville. Elle devient un état, un palimpseste, un territoire intérieur traversé par les ruines visibles et invisibles. Paris, en contrepoint, apparaît comme un espace de réflexion, un lieu où ces images peuvent circuler, être confrontées à d’autres traditions esthétiques, et trouver un écho intellectuel.

Production et circulation franco-libanaises

L’ancrage parisien de Ghassan Salhab se manifeste également à travers les dispositifs de production et de diffusion. Plusieurs de ses films ont bénéficié de soutiens français, que ce soit au niveau de la coproduction, de la postproduction ou de la diffusion. Ce cadre lui a permis de préserver une liberté artistique essentielle, loin des pressions commerciales ou des attentes narratives normées.

Cette circulation entre Beyrouth et Paris n’est jamais un simple déplacement logistique. Elle structure profondément l’œuvre. Elle permet au cinéma de Salhab de rester fidèle à ses obsessions tout en s’inscrivant dans un dialogue transnational.

Le regard français sur un cinéma arabe contemporain

Dans le contexte français, Ghassan Salhab est souvent perçu comme l’une des figures majeures d’un cinéma arabe contemporain qui refuse les simplifications identitaires. Son travail est analysé non pas comme un témoignage exotique, mais comme une proposition esthétique et philosophique à part entière.

Ce positionnement est fondamental. Il permet de sortir le cinéma arabe d’une lecture uniquement politique ou sociologique pour l’inscrire dans une réflexion plus large sur l’image, le temps et la subjectivité. Paris devient alors un espace où le cinéma arabe peut être regardé comme du cinéma, tout simplement.

Une esthétique de la lenteur

À l’heure de la surconsommation visuelle et de la narration accélérée, le cinéma de Ghassan Salhab impose une autre cadence. La lenteur y est une méthode, presque une éthique. Elle invite le spectateur à habiter l’image, à accepter l’inconfort du silence, à penser plutôt qu’à consommer.

Cette démarche trouve en France un public attentif, formé à ces écritures cinématographiques qui privilégient la durée et la contemplation. Paris n’impose pas un modèle ; elle offre un espace où cette esthétique peut exister sans compromis.

Entre deux villes, un même cinéma

Il serait réducteur de penser la relation entre Ghassan Salhab et Paris en termes de centre et de périphérie. Son cinéma ne migre pas ; il circule. Il se nourrit de l’expérience beyrouthine autant que du regard critique parisien. Cette tension féconde est au cœur de son œuvre.

Entre ces deux villes, Salhab construit un cinéma qui refuse les appartenances figées. Un cinéma de l’entre-deux, du seuil, où l’image devient un lieu de pensée plutôt qu’un simple outil de représentation.

Une place singulière dans le cinéma arabe

Aujourd’hui, Ghassan Salhab occupe une place essentielle dans le cinéma arabe contemporain. Non par sa visibilité médiatique, mais par l’influence silencieuse de son travail. De nombreux cinéastes plus jeunes reconnaissent en lui une référence, une exigence, un modèle de fidélité à une vision personnelle.

Paris, en accueillant et en accompagnant ce cinéma, participe à la construction d’un espace critique transnational où les œuvres arabes peuvent être discutées à égalité avec les grandes traditions cinématographiques mondiales.

La relation entre Ghassan Salhab et Paris ne relève ni de l’anecdote ni du symbole facile. Elle s’inscrit dans une histoire plus profonde, celle d’un cinéma qui a besoin d’espaces de pensée pour exister pleinement. Paris n’a pas façonné ce regard ; elle l’a reconnu, accueilli et mis en dialogue.

Dans ce va-et-vient entre Beyrouth et Paris, le cinéma de Ghassan Salhab continue de tracer un chemin rare : celui d’une image qui pense, d’un cinéma qui interroge, et d’une œuvre qui refuse toute concession à l’évidence.

Rédaction du Bureau de Beyrouth

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