Hany Abu-Assad, une écriture cinématographique entre éthique et narration

Hany Abu-Assad construit un cinéma sans slogans, où chaque choix narratif engage une réflexion éthique.
Hany Abu-Assad construit un cinéma sans slogans, où chaque choix narratif engage une réflexion éthique.

Paris ne regarde pas le cinéma venu d’ailleurs avec indulgence. Elle l’observe avec une exigence presque froide, attentive à la cohérence du geste, à la justesse du cadre et à la capacité d’un film à penser le monde plutôt qu’à l’illustrer. Dans cet espace critique où la forme prime sur l’intention déclarée, l’œuvre de Hany Abu-Assad s’est imposée progressivement comme un cas à part. Non pas comme un cinéma « venu du conflit », mais comme une écriture cinématographique capable de dialoguer avec la tradition intellectuelle française sans s’y dissoudre

Né à Nazareth en 1961, Hany Abu-Assad n’est pas issu d’une école de cinéma classique. Formé à l’ingénierie aéronautique aux Pays-Bas, il arrive au cinéma par un détour qui n’est pas anodin. Cette formation technique, fondée sur la rigueur, la précision et la compréhension des systèmes, se ressent dans son écriture filmique. Chez lui, rien n’est laissé au hasard, mais rien n’est surligné. Le récit avance par tensions internes, par silences, par contradictions assumées. Cette approche, profondément anti-manichéenne, explique en grande partie la réception attentive de son cinéma en France.

Paris comme espace critique, non comme vitrine

Contrairement à de nombreux cinéastes du monde arabe dont le passage par Paris relève de la reconnaissance symbolique ou de la consécration institutionnelle, Abu-Assad entretient avec la capitale française un rapport plus discret, mais plus structurant. Paris n’est pas pour lui un décor, ni une tribune. Elle est un lieu d’épreuve du regard. Ses films y sont vus, discutés, parfois contestés, mais rarement simplifiés.

Dès Paradise Now (2005), présenté et largement diffusé en France, le dialogue avec le public parisien s’installe sur un terrain délicat. Le film, qui suit deux jeunes Palestiniens préparant un attentat suicide, aurait pu être rejeté ou caricaturé. Il n’en fut rien. La presse française, dans sa diversité, a perçu immédiatement ce que le film proposait réellement : non pas une justification, mais une plongée dans une impasse morale. Paris a reconnu dans ce film une filiation avec un certain cinéma européen, de Rossellini à Kieslowski, où la caméra ne juge pas, mais expose.

Une réception française marquée par la complexité morale

Ce qui frappe dans la réception française de l’œuvre d’Abu-Assad, c’est la constance d’un même vocabulaire critique. Les mots qui reviennent sont ceux de la nuance, de la zone grise, de la responsabilité individuelle. Dans un paysage médiatique souvent saturé de discours simplificateurs sur le Proche-Orient, ses films ont été perçus comme une respiration intellectuelle.

Avec Omar (2013), cette relation se renforce. Le film, qui raconte l’histoire d’un jeune Palestinien pris dans un engrenage de trahison, d’amour et de surveillance, trouve à Paris un écho particulier. La critique française y voit moins un film sur le conflit israélo-palestinien qu’une tragédie moderne sur la perte de l’innocence et la fragmentation de la confiance. Les projections parisiennes, notamment dans les salles d’art et d’essai, donnent lieu à des débats nourris, souvent animés par des universitaires, des philosophes et des cinéastes.

Le regard français face à un cinéma sans slogans

La singularité d’Abu-Assad tient à son refus constant du slogan. Cette posture, loin d’affaiblir son propos, le rend plus redoutable. En France, où la tradition intellectuelle valorise le doute et la dialectique, ce choix est perçu comme un signe de maturité artistique. Le cinéma d’Abu-Assad n’impose pas une lecture, il en provoque plusieurs.

Ce positionnement explique aussi certaines résistances. Une partie du public militant lui reproche parfois une distance jugée excessive. Mais là encore, Paris joue son rôle de laboratoire critique. Les débats autour de ses films témoignent moins d’un rejet que d’une reconnaissance implicite : celle d’un cinéma qui oblige à penser au-delà des réflexes idéologiques.

Une écriture cinématographique lisible par la France

Sur le plan formel, Abu-Assad adopte une mise en scène d’une grande sobriété. Caméra mobile mais jamais ostentatoire, narration linéaire traversée de ruptures morales, travail précis sur les regards et les silences. Cette grammaire cinématographique est immédiatement lisible par le public français, habitué à un cinéma de l’intime et de la tension intérieure.

Paris reconnaît également dans son œuvre une filiation avec le cinéma politique des années 1970, mais débarrassée de ses certitudes dogmatiques. Là où certains films militants cherchent à convaincre, Abu-Assad préfère exposer une situation jusqu’à ce qu’elle devienne insoutenable moralement pour le spectateur lui-même.

Du cinéma palestinien au cinéma mondial

Le passage d’Abu-Assad vers des productions internationales, notamment avec The Mountain Between Us (2017), n’a pas rompu ce lien avec la France. Bien au contraire. Les critiques français ont suivi ce déplacement avec attention, observant comment un cinéaste issu d’un cinéma de conflit s’adaptait à d’autres genres sans perdre son sens de l’humain. Là encore, Paris n’a pas célébré la réussite industrielle, mais interrogé la cohérence artistique.

Paris, lieu de légitimation intellectuelle

Si Cannes joue un rôle central dans la visibilité internationale, Paris reste le lieu où les œuvres d’Abu-Assad sont relues, recontextualisées, parfois réévaluées. Cinémathèques, universités, ciné-clubs et revues spécialisées participent à cette inscription durable dans le paysage culturel français. Ses films ne sont pas seulement vus ; ils sont intégrés à une réflexion plus large sur le cinéma, la politique et l’éthique.

Conclusion : un cinéma qui résiste au temps

Hany Abu-Assad occupe aujourd’hui une place singulière dans le regard français porté sur le cinéma arabe. Il n’est ni un symbole, ni un porte-drapeau, ni un cas isolé. Il est un cinéaste de la responsabilité, dont les films continuent de susciter à Paris ce que la ville valorise le plus : la pensée critique, le désaccord fertile et le respect de l’intelligence du spectateur.

Dans une époque marquée par la polarisation et la simplification, son cinéma rappelle que l’acte politique le plus radical, parfois, consiste à refuser les réponses faciles. C’est sans doute pour cela que Paris continue d’écouter Hany Abu-Assad. Non par solidarité automatique, mais par exigence intellectuelle.

Rédaction : Bureau de Paris – PO4OR

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