Hend Zouari, Paris comme ligne de tension : le qanun à l’épreuve du monde

Hend Zouari, Paris comme ligne de tension : le qanun à l’épreuve du monde
Hend Zouari, musicienne tunisienne, développe à Paris une écriture contemporaine du qanun, entre rigueur héritée et liberté formelle.

Le rapport de Hend Zouari à Paris ne se lit pas à travers les codes habituels de la réussite artistique. Il ne s’agit ni d’un récit d’intégration spectaculaire, ni d’une ascension portée par l’attrait symbolique de la capitale. Paris intervient dans son parcours comme un espace de clarification. Un lieu où le geste musical est contraint de se définir, de se justifier, parfois de se dépouiller.

Instrumentiste du qanun, Hend Zouari arrive à Paris avec un héritage pleinement constitué. La tradition qu’elle porte n’est ni fragile ni folklorique. Elle est dense, technique, exigeante. La capitale française ne lui demande pas de la représenter, mais de la confronter. Dans cet environnement saturé d’esthétiques, d’hybridations rapides et de récits concurrents, le qanun cesse d’être un signe culturel pour devenir un matériau sonore soumis à l’analyse, à la comparaison et à l’expérimentation.

C’est dans cette tension précise que s’inscrit son travail. Paris n’agit pas comme un amplificateur de visibilité, mais comme un révélateur de structure. La musicienne y affine son écriture, y redéfinit son rapport au temps musical et y construit une position singulière : celle d’une artiste qui refuse la démonstration au profit de la cohérence, et la séduction immédiate au profit de la profondeur.

Née en Tunisie, Hend Zouari grandit dans un rapport organique à la musique. Le qanun s’impose très tôt comme un choix déterminant, non par tradition familiale imposée, mais par affinité profonde avec un instrument qui ne tolère ni approximation ni facilité. Le jeu du qanun exige une écoute absolue, une précision millimétrée, une capacité à tenir ensemble mélodie, rythme et ornementation. Chaque note y est exposée. Chaque intention s’y entend.

Cette rigueur structure son rapport à l’art. Hend Zouari ne conçoit pas la musique comme un espace de séduction, mais comme un langage de responsabilité. Maîtriser la tradition ne suffit pas. Encore faut-il la comprendre, la questionner, accepter de la déplacer. Très tôt, elle perçoit que la fidélité au répertoire ne peut être qu’active, jamais passive.

La traversée parisienne marque alors un tournant décisif. À Paris, Hend Zouari ne trouve pas un raccourci vers la reconnaissance, mais un cadre intellectuel exigeant. Ses études à la Sorbonne lui permettent d’articuler pratique instrumentale et réflexion musicologique. Elle découvre une autre manière de penser la musique, d’en analyser les formes, les circulations, les héritages croisés. La distance critique imposée par ce contexte nourrit directement son jeu.

Dans cette ville où tout se compare, tout se confronte, le qanun est mis à l’épreuve. Non pour être dilué, mais pour être redéfini. Hend Zouari refuse l’exotisme facile. Elle se tient à distance du folklore de surface comme des hybridations décoratives. Sa recherche sonore est précise, parfois retenue, toujours maîtrisée. Le qanun devient un corps sonore mobile, capable de dialoguer avec le jazz, les textures électroniques, les écritures contemporaines, sans jamais perdre sa densité ni sa mémoire.

Sur scène, cette approche se traduit par une présence rare. Hend Zouari n’occupe pas l’espace par l’effet, mais par l’écoute. Elle installe un temps long, une attention partagée, une relation directe avec le public. Ses concerts en France, et notamment à Paris, s’inscrivent dans des lieux où la musique est pensée comme expérience, non comme simple performance. Chaque projet est conçu comme une exploration, chaque collaboration comme un échange réel.

Cette exigence artistique lui vaut une reconnaissance progressive dans les milieux culturels français. Hend Zouari n’est pas une artiste de l’événementiel ni de l’instantané. Elle s’inscrit dans une temporalité différente, faite de résidences, de projets au long cours, de fidélité à une ligne artistique claire. Le public parisien, habitué aux propositions hybrides mais souvent superficielles, perçoit cette singularité.

Ce qui distingue profondément son travail, c’est sa capacité à inscrire le qanun dans le présent sans le trahir. Elle n’impose rien à l’instrument. Elle l’écoute. Ses compositions explorent les micro-intervalles, les répétitions, les textures, les silences. Le geste reste enraciné dans la tradition orientale, mais l’écriture s’ouvre à d’autres espaces sonores. Paris, dans ce processus, joue un rôle déterminant en offrant un cadre où cette démarche peut exister sans être assignée à une identité figée.

La capitale française permet à Hend Zouari d’échapper à la fonction de représentation culturelle. Elle n’y est pas sommée d’incarner une origine. Elle y est reconnue comme musicienne, tout simplement. Cette neutralité apparente est en réalité une conquête. Elle autorise une lecture strictement artistique de son travail, libérée des attentes symboliques.

Au-delà de la scène, Hend Zouari s’engage dans des projets de transmission et d’action culturelle. Ateliers, rencontres, initiatives sociales : elle conçoit la musique comme un espace de lien. Là encore, Paris offre un terrain propice. La diversité des publics et des institutions permet de développer une approche ouverte, attentive aux contextes, où la musique devient un outil de partage et parfois de réparation.

Aujourd’hui, Hend Zouari poursuit une trajectoire en mouvement, entre création discographique et tournées internationales. Paris demeure un point d’ancrage, non comme centre exclusif, mais comme base de dialogue avec le monde. Sa relation à la ville n’est ni mythifiée ni instrumentalisée. Elle est fonctionnelle, exigeante, structurante.

Dans un paysage culturel dominé par la vitesse, la visibilité immédiate et la surenchère, Hend Zouari incarne une autre voie. Celle de la profondeur, du temps long, de la fidélité à un instrument et à une pensée musicale cohérente. Paris, dans cette histoire, n’est ni un décor ni un refuge. Elle est un partenaire critique. Et c’est précisément dans cette exigence que se joue la force de cette trajectoire.

Rédaction | Bureau de Paris – PO4OR

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