Huda Benyamina Quand la marge force la France à se regarder

Huda Benyamina Quand la marge force la France à se regarder
Un cinéma venu de la marge qui redessine le centre.

On ne peut pas aborder le parcours de Huda Benyamina comme on lirait une trajectoire artistique classique. Elle n’est ni le produit d’une école, ni l’héritière d’un courant, ni le résultat d’une intégration progressive au système. Son arrivée dans le paysage cinématographique français relève d’un événement culturel au sens fort : une irruption qui oblige le centre à prendre acte de ce qu’il laissait hors champ.

Le cinéma de Benyamina ne parle pas de la marge ; il parle depuis la marge. Les banlieues ne sont pas un décor, mais une condition. Les corps ne sont pas des symboles, mais des réalités sociales exposées sans filtre. La caméra ne cherche ni l’élégance ni la distance ; elle agit comme un outil de dévoilement, parfois brutal, toujours précis. Ce cinéma ne demande pas la permission d’exister.

Lorsque Divines reçoit la Caméra d’or au Festival de Cannes, il ne s’agit pas seulement d’une reconnaissance artistique. C’est un moment de vérité institutionnelle. Le cinéma français est contraint d’admettre que son récit national était incomplet. Que certaines vies, certains corps, certaines trajectoires n’avaient jamais réellement accédé à la légitimité de l’image. Benyamina ne monte pas les marches comme une promesse ; elle y arrive comme une nécessité.

Cette logique se prolonge dans sa participation à The Eddy, série internationale tournée à Paris et diffusée à grande échelle sur Netflix. Le cadre sériel et la plateforme mondiale n’ont en rien atténué son geste. Benyamina y transpose son regard frontal sur la ville vécue depuis ses marges, inscrivant les corps et les tensions sociales dans une narration plus large, sans les neutraliser. The Eddy agit ici comme un amplificateur : il rend visible, à l’échelle globale, un réel parisien que son cinéma refuse de lisser.

Pour autant, son œuvre ne se résume ni à la colère ni au manifeste. La force de son regard tient précisément à son refus du slogan. La violence, chez elle, n’est jamais spectaculaire ; elle est structurelle. Les personnages ne sont ni héroïsés ni victimisés. Ils existent dans leur ambivalence, leur dureté, leur désir de survie. Cette absence de simplification confère à ses films une densité politique rare : une politique du réel, sans discours explicatif.

Huda Benyamina ne se positionne pas comme médiatrice entre la périphérie et l’institution. Elle ne traduit pas, elle n’apaise pas. Elle entre dans le champ culturel français avec une langue forgée hors des cadres académiques, hors des attentes critiques habituelles. Cette langue cinématographique ne cherche pas à rassurer. Elle déplace les lignes, dérange les catégories, rend visibles des zones que l’on préférait ignorer.

Au cœur de son cinéma se trouve une notion centrale : la dignité. Dignité des corps filmés, des voix entendues, des existences reconnues. Sa caméra n’extrait pas, elle accompagne. Elle n’explique pas, elle observe. Elle ne sauve pas ses personnages, mais leur accorde un droit fondamental : celui d’être présents dans l’image sans être corrigés.

En cela, Huda Benyamina occupe une place charnière dans le cinéma français contemporain. Non parce qu’elle représenterait un milieu social, mais parce qu’elle contraint le cinéma à redéfinir son centre. L’Orient, ici, n’est pas une référence culturelle exotique ; il est une réalité sociale française qui impose ses propres règles de visibilité.

Bureau de Paris – PO4OR.

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