Jafar Panahi, le cinéma iranien en exil français

Jafar Panahi, le cinéma iranien en exil français
Jafar Panahi, cinéaste iranien en exil, figure majeure d’un cinéma engagé où la création devient un acte de liberté.

Il existe des cinéastes dont l’œuvre dépasse le cadre du cinéma pour devenir un acte de conscience. Jafar Panahi appartient à cette catégorie rare d’artistes pour lesquels filmer n’est pas seulement raconter une histoire, mais affirmer une position face au monde. Réalisateur iranien parmi les plus respectés de sa génération, Panahi incarne aujourd’hui la figure du cinéaste en exil, dont la France est devenue l’un des principaux espaces de reconnaissance, de protection et de résonance artistique.

Né à Mianeh, en Iran, Panahi s’est imposé dès ses débuts comme une voix singulière du cinéma iranien, héritier critique et indépendant de la tradition initiée par Abbas Kiarostami. Très tôt, son regard se distingue par une attention aiguë aux marges, aux silences, aux figures invisibles de la société. Chez Panahi, le réel n’est jamais décoratif: il est matière brute, parfois inconfortable, toujours politique.

Un cinéma du quotidien, profondément subversif

Les premiers films de Panahi, notamment Le Ballon blanc, révèlent une approche d’une apparente simplicité. Pourtant, derrière cette économie de moyens se cache une lecture précise des rapports de pouvoir, des contraintes sociales et des fractures invisibles qui traversent l’Iran contemporain. Son cinéma refuse le spectaculaire. Il privilégie le geste ordinaire, la parole interrompue, le déplacement entravé.

C’est précisément cette sobriété qui rend son œuvre subversive. En donnant la parole à ceux que l’on n’entend pas, en filmant ce que l’on préfère taire, Panahi dérange. Ses films deviennent rapidement des objets politiques, non par slogans, mais par la force tranquille de l’observation.

La rupture: interdiction et résistance

En 2010, le parcours de Jafar Panahi bascule. Condamné par les autorités iraniennes, interdit de filmer, de quitter le pays et de s’exprimer publiquement, il se retrouve confronté à une situation extrême: continuer à créer malgré l’effacement imposé.

Plutôt que de se taire, Panahi transforme l’interdiction en langage cinématographique. Ceci n’est pas un film, réalisé clandestinement, devient un manifeste. En filmant son propre enfermement, Panahi redéfinit les frontières du cinéma. Le geste est radical, mais jamais démonstratif. Il affirme une conviction simple: filmer est un droit, pas un privilège accordé par le pouvoir.

La France, espace de projection et de protection

Si Panahi est physiquement entravé durant de longues années, son cinéma, lui, circule. Et c’est en France que ses films trouvent une visibilité particulière. Les festivals français, les salles d’art et essai, les institutions culturelles et la critique jouent un rôle central dans la diffusion et la reconnaissance de son œuvre.

Le Festival de Cannes devient l’un des principaux relais de sa voix. Ses films y sont projetés, discutés, défendus. En France, Panahi n’est pas réduit à la figure du dissident. Il est reconnu avant tout comme un cinéaste majeur, dont l’exil renforce la portée universelle du regard.

Cette relation avec la France n’est pas seulement institutionnelle. Elle est intellectuelle et esthétique. Le cinéma français, dans sa tradition humaniste et politique, offre à Panahi un espace naturel de dialogue. Son œuvre y est lue comme une prolongation contemporaine du cinéma engagé européen, où l’intime et le politique s’entrelacent.

Filmer l’exil sans quitter le réel

Avec des films comme Taxi Téhéran ou Trois visages, Panahi invente une forme de cinéma paradoxale: un cinéma de l’exil intérieur. La voiture, la route, le déplacement deviennent des métaphores récurrentes. Le cinéaste se met lui-même en scène, non par narcissisme, mais par nécessité. Il devient le médium de sa propre impossibilité.

Ce cinéma de contrainte ne réduit pas la liberté artistique. Il la déplace. Panahi transforme les limites en dispositifs narratifs. L’absence devient présence. Le hors-champ devient discours. Chaque plan est chargé d’une tension éthique: comment filmer sans trahir, comment montrer sans exposer, comment parler sans mettre en danger.

Une œuvre universelle, au-delà de l’Iran

Si le cinéma de Panahi est profondément ancré dans la réalité iranienne, il dépasse largement les frontières nationales. Les thèmes qu’il explore – la liberté, la justice, la dignité, la parole empêchée – résonnent avec les expériences contemporaines de nombreux pays.

C’est cette universalité qui explique la force de sa réception en France. Panahi n’est pas perçu comme un cinéaste “étranger”, mais comme un auteur du monde, dont l’œuvre interroge nos propres sociétés. La France devient alors un espace de traduction culturelle, où son cinéma dialogue avec les enjeux démocratiques européens.

L’exil comme état créatif

Chez Jafar Panahi, l’exil n’est pas seulement géographique. Il est esthétique, moral, existentiel. Même lorsqu’il est empêché de quitter l’Iran, il vit déjà dans une forme d’exil intérieur. Lorsqu’il circule enfin à nouveau, la France apparaît comme un prolongement naturel de cet état: un lieu où l’exil n’efface pas l’identité, mais la rend lisible.

Ce positionnement fait de Panahi une figure centrale du cinéma contemporain. Il incarne une génération d’artistes pour lesquels la création est indissociable de la responsabilité. Son cinéma ne cherche pas à séduire. Il cherche à tenir. À rester debout.

Un regard indispensable

Aujourd’hui, Jafar Panahi occupe une place singulière dans le paysage cinématographique mondial. Ni martyr figé, ni héros médiatique, il demeure un cinéaste en mouvement, fidèle à une éthique du regard qui refuse toute compromission.

En France, son œuvre continue d’être accompagnée, analysée, montrée. Elle rappelle que le cinéma peut encore être un espace de vérité, de courage et de liberté. À l’heure où les images se multiplient et se vident parfois de leur sens, Panahi rappelle l’essentiel: filmer, c’est prendre position.

Rédaction – Bureau de Paris

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