Jocelyne Saab, le voyage comme fidélité Hommage à une vie filmée jusqu’au bout

Jocelyne Saab, le voyage comme fidélité Hommage à une vie filmée jusqu’au bout
Jocelyne Saab, cinéaste et journaliste libanaise, a construit entre Beyrouth et Paris une œuvre exigeante, fidèle au réel et à la mémoire.

Le parcours de Jocelyne Saab se lit comme une ligne continue, sans détour ni embellissement. Journaliste, cinéaste, artiste visuelle, elle a traversé les conflits, les exils et les villes avec une constance rare : celle de rester fidèle au réel, même lorsque celui-ci devient insoutenable. Son œuvre ne cherche pas à expliquer le monde, elle le montre, frontalement, avec une éthique du regard qui refuse la distance confortable.

Née à Beyrouth, Jocelyne Saab appartient à une génération pour qui l’image fut d’abord un outil de témoignage. Très tôt, elle choisit le terrain. Correspondante de guerre, elle couvre le Liban, le Vietnam, l’Irak, l’Iran, le Sahara occidental. Sa caméra n’est jamais neutre, mais elle n’est jamais complaisante. Elle filme depuis l’intérieur des événements, attentive aux visages, aux silences, aux corps pris dans l’histoire.

Paris devient rapidement un point d’ancrage décisif. Non comme un refuge symbolique, mais comme un lieu de travail, de production et de diffusion. C’est depuis la France que Jocelyne Saab développe une grande partie de son œuvre cinématographique. Elle y vit, y monte ses films, y trouve des partenaires de production, et inscrit son travail dans le circuit du cinéma d’auteur européen. Cette relation avec Paris est documentée, concrète, structurante.

À partir des années 1980, elle passe du reportage au cinéma documentaire puis à la fiction, sans jamais renoncer à la rigueur du regard. Des films comme Lettre de Beyrouth, Le Bateau de l’exil ou Dunia témoignent d’un déplacement formel, mais non idéologique. Le cinéma devient pour elle un espace de mémoire active, où l’intime dialogue avec le politique.

Son installation en France lui permet d’élargir le champ de son œuvre. Paris n’efface jamais Beyrouth, mais lui offre une profondeur supplémentaire. Dans cet entre-deux, Jocelyne Saab développe une écriture cinématographique singulière, où la Méditerranée n’est pas une frontière mais une circulation. Ses films sont montrés, discutés, analysés dans les festivals et institutions françaises, et intégrés à une histoire du cinéma engagée et indépendante.

Au fil des années, son travail s’étend aux arts visuels. Installations, photographies, œuvres plastiques prolongent son questionnement sur la guerre, l’exil et la représentation. Là encore, Paris joue un rôle central : expositions, résidences, collaborations artistiques. La ville devient un espace de continuité, non de rupture, dans un parcours marqué par la cohérence.

Jocelyne Saab n’a jamais cherché la reconnaissance médiatique facile. Elle privilégie le temps long, la construction patiente d’une œuvre. Son cinéma dérange parce qu’il refuse le spectaculaire. Il s’attache aux conséquences, aux traces, à ce qui reste après les explosions et les discours. Cette approche lui vaut une place particulière dans l’histoire du cinéma arabe et international : celle d’une auteure libre, impossible à enfermer dans une catégorie.

Sa disparition laisse un vide qui dépasse le seul champ artistique. Elle emporte avec elle une manière d’être au monde, une éthique du regard aujourd’hui rare. Pourtant, son œuvre demeure. Elle circule entre Beyrouth et Paris, entre archives et écrans, entre mémoire individuelle et histoire collective. Elle continue de poser une question simple et radicale : comment filmer sans trahir ?

Jocelyne Saab n’a jamais cessé de voyager. Non par fuite, mais par fidélité. Fidélité aux visages rencontrés, aux histoires racontées, aux lieux traversés. Paris fut l’un de ces lieux essentiels, non comme destination finale, mais comme point de passage durable dans une trajectoire profondément ancrée dans le réel.

Aujourd’hui, rendre hommage à Jocelyne Saab, c’est rappeler que le cinéma peut encore être un acte de responsabilité. Un geste de présence. Une forme de résistance silencieuse. Entre Beyrouth et Paris, son regard continue de nous accompagner.

Rédaction : Bureau de Beyrouth – PO4OR

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