Kazem Al Saher, la voix royale du Levant qui a conquis Pari
Il existe des artistes dont la trajectoire dépasse la musique, des voix qui, par leur seule présence, dessinent des ponts invisibles entre des cultures séparées par la géographie, la langue ou l’histoire. Kazem Al Saher appartient à cette catégorie d’êtres rares : des créateurs qui ne se contentent pas de chanter, mais qui sculptent un imaginaire, réhabilitent une tradition, ravivent un héritage et offrent au public un espace de beauté partagée.
À Paris, la rencontre avec son art prend une dimension particulière. La capitale française, qui a toujours su reconnaître les grandes voix du monde, a trouvé en Kazem un messager du raffinement arabe, un interprète capable d’émouvoir au-delà des frontières linguistiques et un porte-voix d’un Orient noble, sensible et lumineux.
Né à Mossoul puis formé à Bagdad, Kazem Al Saher a grandi dans un univers marqué par la poésie, les récits anciens et la rigueur musicale. Très tôt, il a compris que la chanson pouvait être un terrain d’exigence, de recherche et de renaissance artistique. Contrairement à la production commerciale qui domine souvent l’industrie musicale, Kazem a pris un chemin presque à contre-courant : celui du classicisme moderne, des compositions longues, de la précision instrumentale et d’un attachement profond à la grammaire poétique. En cela, il s’inscrit dans une lignée prestigieuse marquée par les grandes voix du monde arabe — Oum Kalthoum, Abdel Halim Hafez, Fairuz — tout en construisant une personnalité artistique propre, identifiable et inimitable.
C’est grâce à son alliance féconde avec le poète syrien Nizar Qabbani que Kazem Al Saher est devenu cette figure singulière. Qabbani lui a offert des textes d’une beauté rare, où la sensualité se mêle à la dignité, et où l’univers féminin, célébré comme un temple d’humanité, devient le centre de la création poétique. Kazem, lui, a donné une vie musicale à ces mots, les a orchestrés avec une délicatesse extrême et les a portés sur scène comme on porte un secret précieux. Le résultat : un répertoire qui transcende le temps, une écriture musicale presque cinématographique, et un style où chaque note raconte une histoire complète.
Lorsque Kazem arrive à Paris pour la première fois, la rencontre est immédiate. Les Franciliens, habitués aux plus grandes scènes du monde, découvrent un artiste venu du Levant qui refuse les compromis. Un chanteur qui ne cherche pas à séduire par le spectacle, mais par la profondeur. Un maître qui prend son public au sérieux, qu’il s’agisse de la diaspora arabe ou des mélomanes français attirés par l’exotisme noble de la musique orientale. Ses concerts parisiens, souvent accueillis comme des événements, ont rapidement trouvé un public fidèle, intergénérationnel et inter-culturel. On y retrouve des étudiants arabes, des familles venues partager un moment de mémoire, mais aussi des Français attirés par la poésie d’un monde qu’ils connaissent peu, mais qu’ils apprennent à voir autrement grâce à lui.
L’élégance scénique de Kazem est l’un des éléments qui frappent le plus le public parisien. Là où d’autres artistes misent sur l’effet, la lumière ou la performance, Kazem choisit la sobriété, la retenue, la présence silencieuse. Son regard, sa gestuelle mesurée, son interaction toujours respectueuse avec les musiciens créent une atmosphère théâtrale, presque mystique. On ne vient pas assister à un spectacle : on vient se laisser traverser par une expérience artistique. Paris, qui admire la rigueur et la précision, reconnaît en lui un artiste au sens strict du terme.
Mais ce qui fascine le plus dans la réception parisienne de Kazem, c’est ce dialogue unique qui s’installe entre deux univers culturels. Pour les auditeurs français, il offre une porte d’entrée vers une poésie arabe d’une rare sophistication, un patrimoine musical trop souvent méconnu en Europe et qui, grâce à lui, devient accessible, intelligible et profondément humain. Pour les auditeurs orientaux vivant en France, il représente un lien vital avec une mémoire collective, un rappel de la beauté de leur langue, de leur histoire, de leur sensibilité profonde. Ainsi, ses concerts deviennent des lieux de retrouvailles, des points de convergence où le Paris cosmopolite se révèle dans toute sa diversité.
Kazem ne chante pas seulement l’amour. Il chante l’exil, la douleur, la nostalgie, la dignité et la quête de soi. Son rapport à l’Irak, à la guerre, à la perte, à la reconstruction intérieure donne à sa musique une dimension universelle. Beaucoup de Français, même sans comprendre les paroles, ressentent la charge émotionnelle qui traverse ses compositions. C’est là sans doute la force essentielle de Kazem : transformer la musique arabe en langue universelle, où chaque émotion, chaque souffle, chaque crescendo devient une passerelle invisible entre les cœurs.
Ce qui distingue également Kazem dans le paysage musical parisien, c’est sa relation au temps. Dans un monde où tout doit aller vite, où l’on consomme la musique comme un produit jetable, il propose des œuvres longues, exigeantes, presque méditatives. Paris, ville de la contemplation, de la littérature et de la lenteur choisie, reconnaît dans cette approche une forme d’élégance intellectuelle. La capitale voit en lui un artiste qui respecte la musique comme un art majeur, non comme un divertissement. Cela explique sans doute la fidélité remarquable de son public français.
Dans cette rencontre entre Kazem et Paris, quelque chose de plus profond se joue : une reconnaissance mutuelle. Paris accueille en lui un artiste du monde arabe qui renforce l’image d’un Orient cultivé, poétique et lumineux. Kazem, de son côté, trouve en Paris une scène capable de comprendre son exigence et d’apprécier son travail à sa juste valeur. Peu d’artistes arabes ont atteint ce niveau de résonance culturelle à l’étranger, et encore moins en France, où la tradition critique est exigeante et le paysage artistique particulièrement compétitif.
Aujourd’hui, la place de Kazem à Paris dépasse largement le cadre du divertissement. Il est devenu, sans jamais l’avoir revendiqué, un ambassadeur discret de la culture arabe, un symbole de dialogue, un exemple de ce que l’art peut accomplir lorsque l’authenticité prime sur tout le reste. Ses concerts sur les bords de la Seine ou dans les grandes salles parisiennes ne sont pas seulement des soirées musicales : ce sont des moments de mémoire, de rencontre, d’unité entre des mondes souvent perçus comme éloignés.
Kazem Al Saher incarne ce que PO4OR défend depuis sa création : la possibilité réelle d’un pont entre l’Orient et l’Occident. Un pont esthétique, émotionnel, culturel. À travers sa voix, c’est tout un Levant doux, élégant et sensible qui s’invite à Paris ,et que Paris, fidèle à son histoire, accueille avec admiration.
Ali Al-Hussien – PO4OR, Portail de l’Orient