Maryam Touzani:Une cinéaste du retrait et de la durée
Il est des cinéastes qui ne cherchent pas à occuper l’espace, mais à le ménager. Maryam Touzani appartient à cette catégorie rare d’auteures pour qui le cinéma ne consiste pas à produire du sens par accumulation, mais à le laisser advenir par soustraction. Son œuvre, encore resserrée mais déjà cohérente, se déploie dans une économie rigoureuse du geste, de la parole et du regard. Rien n’y est démonstratif, tout y est pesé.
Dès Adam, son premier long métrage, présenté à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes, Touzani affirme une posture esthétique claire : filmer l’intime sans le forcer, observer les relations humaines sans les commenter. Le film se construit dans un espace restreint, presque clos, où le temps semble suspendu. Les personnages y évoluent à distance des grands récits sociaux, mais jamais hors du monde. La cinéaste ne les érige pas en symboles ; elle les laisse exister dans leur matérialité la plus simple : des gestes quotidiens, des silences prolongés, des regards qui disent davantage que les mots.
Cette approche n’est ni minimaliste par effet ni pudique par prudence. Elle relève d’une véritable éthique du regard. Maryam Touzani refuse la sur-signification. Elle ne cherche pas à expliquer ses personnages, encore moins à les défendre. Elle leur accorde ce que le cinéma refuse souvent : le droit à l’opacité. C’est dans cette zone de retrait que se construit sa singularité.
Avec Le Bleu du caftan, présenté dans la section Un Certain Regard, cette écriture se prolonge et s’affine. Le film s’organise autour de la lenteur du geste artisanal, du temps long de la confection, de l’attente silencieuse. Ici, le tissu, la couture, le toucher deviennent des vecteurs narratifs à part entière. Le récit avance à hauteur d’homme, sans emphase, dans une attention constante portée aux corps et à leurs ajustements imperceptibles.
Ce qui frappe, dans le cinéma de Touzani, c’est la continuité. Il n’y a pas de rupture spectaculaire entre ses films, mais une progression maîtrisée, presque souterraine. Chaque œuvre semble approfondir la précédente, comme si la cinéaste creusait un même sillon, refusant la dispersion au profit d’un projet clair. Cette constance explique sans doute la reconnaissance internationale dont elle bénéficie : son cinéma s’inscrit dans le temps long, celui des œuvres que l’on relit plutôt que de consommer.
Maryam Touzani ne filme pas contre quelque chose, ni pour démontrer quoi que ce soit. Elle filme à côté, dans l’intervalle. Son regard ne juge pas, il accompagne. Cette position, rare dans le paysage cinématographique contemporain, confère à son travail une portée qui dépasse largement le cadre national. Sans jamais renier son ancrage marocain, elle s’adresse à un spectateur universel, attentif aux nuances, aux silences, aux récits discrets.
Dans un monde saturé d’images bruyantes, son cinéma fait le pari inverse : celui de la retenue. Un pari exigeant, mais profondément moderne.
Rédaction : Bureau de Paris – PO4OR