Maspero : quand un savant français donne son nom à l’un des symboles de l’État égyptien

Maspero : quand un savant français donne son nom à l’un des symboles de l’État égyptien
Bâtiment de Maspero – Le Caire Siège de la radio et de la télévision publiques égyptiennes, portant le nom d’un savant français intimement lié à la sauvegarde du patrimoine de l’Égypte ancienne.

Le bâtiment de la Radio et de la Télévision égyptiennes, connu de tous sous le nom de Maspero, occupe une place singulière dans l’imaginaire collectif égyptien. Implanté sur la corniche du Nil, face au cœur historique du Caire, il ne constitue pas seulement un centre de diffusion médiatique : il est devenu, depuis sa construction, un marqueur institutionnel fort de l’État moderne égyptien. Pourtant, l’origine de son appellation demeure largement méconnue. Le nom « Maspero » ne renvoie ni à un lieu ni à une époque contemporaine, mais à une figure scientifique majeure : Gaston Maspero, égyptologue français dont l’action a profondément marqué l’histoire de la préservation du patrimoine pharaonique.

Né à Paris le 23 juin 1846, Gaston Camille Charles Maspero appartient à cette génération de savants pour lesquels l’égyptologie ne relevait pas d’un exotisme académique, mais d’un engagement intellectuel total. Autodidacte dans la discipline, il se forma très jeune par l’étude minutieuse des collections du musée du Louvre et par l’analyse des inscriptions hiéroglyphiques de l’obélisque de la place de la Concorde. Cette formation rigoureuse, fondée sur le texte et l’objet, forgea chez lui une conception exigeante de la science : comprendre l’Égypte ancienne non comme un décor, mais comme une civilisation structurée, dotée de continuités politiques, religieuses et sociales.

Son arrivée en Égypte, le 5 janvier 1882, marque un tournant décisif. Treize jours plus tard disparaissait Auguste Mariette, fondateur et directeur du Service des Antiquités égyptiennes. À seulement trente-quatre ans, Maspero fut appelé à lui succéder. Cette nomination précoce traduisait la confiance accordée à un savant déjà reconnu pour la solidité de ses travaux et pour sa connaissance approfondie des textes anciens. À la tête du Service des Antiquités, il hérita d’une mission lourde : organiser la recherche, protéger les sites et lutter contre un pillage alors endémique.

Maspero poursuivit les grandes campagnes de fouilles engagées par Mariette à Saqqarah, Edfou et Abydos. Il joua également un rôle central dans la réorganisation du musée égyptien, d’abord à Boulaq, puis lors du transfert de ses collections vers le musée du Caire. Ce travail muséographique, souvent sous-estimé, fut essentiel : il contribua à inscrire les antiquités égyptiennes dans une logique de conservation nationale, et non plus seulement dans une dynamique de collecte savante.

Mais l’acte le plus emblématique de son action demeure lié à la révélation du secret de la cachette de Deir el-Bahari. En 1881, grâce aux informations obtenues après l’arrestation de la famille Abd el-Rassoul, impliquée dans le trafic d’antiquités, Maspero mit au jour l’un des ensembles archéologiques les plus spectaculaires jamais découverts. Cette cachette abritait les momies de souverains majeurs du Nouvel Empire, parmi lesquels Seqenenrê Tao, Ahmôsis Ier, Thoutmôsis III, Séthi Ier et Ramsès II. La portée de cette découverte fut considérable : elle permit de sécuriser ces vestiges royaux et d’approfondir la compréhension de la chronologie et des pratiques funéraires de l’Égypte ancienne.

Parallèlement à ces découvertes, Maspero mena une politique ferme contre les fouilles illégales. Il fit adopter des règles strictes interdisant toute excavation privée et réservant les recherches archéologiques aux seules missions scientifiques autorisées. Cette démarche, novatrice pour l’époque, posa les bases d’une protection institutionnelle du patrimoine égyptien. Elle traduisait une conviction profonde : les antiquités ne devaient plus être perçues comme des objets de commerce, mais comme un bien collectif relevant de la mémoire nationale.

Après plusieurs années passées à œuvrer en Égypte, Maspero regagna Paris en 1914, où il fut nommé conseiller permanent de l’Académie des beaux-arts. Il mourut le 30 juin 1916, laissant derrière lui une œuvre scientifique majeure et une empreinte durable dans l’histoire de l’égyptologie. Son nom resta intimement lié à l’Égypte, non comme celui d’un explorateur de passage, mais comme celui d’un bâtisseur de structures durables.

C’est dans cet esprit que l’Égypte décida, au XXᵉ siècle, de donner le nom de Maspero au bâtiment de la Radio et de la Télévision du Caire. Ce choix n’est ni anodin ni purement symbolique. Il établit un lien direct entre un savant français et l’un des principaux instruments de la souveraineté culturelle égyptienne. Le bâtiment de Maspero Building devient ainsi un lieu de mémoire contemporaine, où se croisent science, culture et État.

Maspero, en tant qu’édifice, incarne la voix officielle de l’Égypte moderne ; Maspero, en tant qu’homme, incarna la défense méthodique et respectueuse de l’Égypte ancienne. La continuité est frappante. Dans les deux cas, il s’agit de préserver, de transmettre et de rendre visible une civilisation. Donner le nom d’un égyptologue français à un tel bâtiment revient à reconnaître que la sauvegarde du patrimoine égyptien s’est aussi construite par des collaborations intellectuelles internationales, fondées sur le respect et la rigueur scientifique.

Ainsi, Maspero n’est pas seulement un immeuble dominant le Nil, ni un nom hérité de l’histoire savante européenne. Il est le point de jonction entre un passé pharaonique protégé, une modernité médiatique affirmée et une mémoire partagée entre l’Égypte et la France. À travers ce nom, un savant continue de dialoguer avec une nation, et un bâtiment d’État rappelle qu’aucune modernité durable ne peut se construire sans conscience profonde de l’histoire.

Bâtiment de Maspero – Le Caire
Siège de la radio et de la télévision publiques égyptiennes, portant le nom d’un savant français intimement lié à la sauvegarde du patrimoine de l’Égypte ancienne.

Rédaction du Bureau du Caire

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