Mohamed Hefzy, produire comme méthode et comme responsabilité Introduction

Mohamed Hefzy, produire comme méthode et comme responsabilité Introduction
Mohamed Hefzy, producteur et scénariste égyptien, président du Festival international du film du Caire.

À première vue, le parcours de Mohamed Hefzy pourrait se lire comme une succession de positions reconnues : producteur influent, scénariste de films majeurs, président d’un festival international historique. Mais cette lecture factuelle manquerait l’essentiel. Ce qui distingue Hefzy n’est pas l’addition de rôles, mais la manière dont il les articule. Depuis plus de vingt ans, il agit dans le cinéma égyptien comme un opérateur de cohérence, attentif aux lignes de force d’un secteur fragilisé, conscient des équilibres internationaux, et engagé dans une transformation progressive des pratiques. Son travail ne relève ni de la conquête symbolique ni de la gestion opportuniste. Il s’inscrit dans une vision structurée : penser le cinéma comme un espace de production de sens, de circulation des regards et de responsabilité culturelle.

Développement – Une ligne de production fondée sur le risque et la durée

Dès ses premières expériences, Mohamed Hefzy s’éloigne des logiques de reproduction industrielle qui ont longtemps dominé le cinéma commercial égyptien. Son choix est clair : privilégier des projets qui interrogent la société, acceptent l’ambiguïté morale et refusent les récits simplificateurs. Cette orientation n’est pas seulement esthétique ; elle engage une position éthique sur le rôle du producteur. Chez Hefzy, produire signifie accompagner un film dans toutes ses dimensions écriture, mise en scène, diffusion en assumant le risque artistique comme condition de la pertinence culturelle.

Son travail de scénariste participe de cette même exigence. Des films devenus emblématiques tels que El Selm Wel Te’ban (Le Serpent et l’Échelle), Tito ou Malaky Eskandaria ont marqué durablement l’imaginaire collectif. Ces œuvres, ancrées dans une réalité sociale dense, articulent récit populaire et complexité psychologique. Elles témoignent d’une capacité rare à inscrire des trajectoires individuelles dans un contexte urbain et politique plus large, sans jamais céder au didactisme. L’écriture y fonctionne comme un outil d’observation, non comme un instrument de jugement.

Cette cohérence se retrouve pleinement dans son activité de producteur au cours des années 2010, période charnière pour le cinéma égyptien. Dans un contexte de tensions politiques, de fragilité économique et de recomposition des publics, Hefzy choisit de soutenir des films qui affrontent frontalement les contradictions de la société contemporaine. L’objectif n’est pas de représenter l’actualité, mais d’en rendre perceptibles les lignes de fracture, les silences et les zones d’inconfort.

France – Reconnaissance internationale et dialogue culturel

La sélection de Yomeddine en compétition officielle au Cannes Film Festival en 2018 constitue un moment décisif dans cette trajectoire. Le film, centré sur un homme atteint de la lèpre et un enfant des rues, refuse toute approche misérabiliste. Il propose un regard d’une humanité radicale, construit sur la durée, le déplacement et la dignité des corps filmés. Sa présence à Cannes ne relève pas d’un exotisme programmé, mais d’une reconnaissance pleine et entière d’une proposition artistique universelle.

Cette étape cristallise la relation profonde que Mohamed Hefzy entretient avec la France. Formé dans un environnement scolaire francophone au Caire, il a très tôt développé une familiarité avec la culture française qui a nourri sa manière de penser le cinéma comme langage transnational. Cette relation s’est ensuite consolidée à travers des coproductions, des circulations de films et un dialogue constant avec les institutions culturelles françaises.

L’attribution de l’Ordre des Arts et des Lettres par la France vient ainsi reconnaître un parcours déjà inscrit dans une dynamique de coopération culturelle. Il ne s’agit pas d’un hommage symbolique isolé, mais de la validation d’un rôle : celui d’un acteur qui a contribué à inscrire le cinéma égyptien contemporain dans les espaces de légitimation internationaux sans en diluer l’identité. Cette reconnaissance s’inscrit également dans un contexte plus large, confirmé dès 2016 lorsque le magazine Variety l’a classé parmi les dix personnalités à connaître dans l’industrie du cinéma arabe.

Parallèlement à son activité de producteur, son engagement à la tête du Cairo International Film Festival prolonge cette logique de dialogue. Sous sa présidence, le festival s’est repositionné comme un espace de circulation entre cinémas arabes, africains, européens et internationaux. L’enjeu n’est pas seulement de programmer des films, mais de créer un cadre de discussion, de visibilité et de reconnaissance pour des œuvres souvent marginalisées dans les circuits dominants.

Transmission – Construire un avenir cinématographique

L’un des aspects les plus structurants du parcours de Mohamed Hefzy réside dans son rapport à la transmission. Contrairement à une vision individualiste du succès, il a constamment investi dans l’émergence de nouvelles générations de cinéastes. En produisant Clash de Mohamed Diab ou Sheikh Jackson d’Amr Salama, il a permis à des regards singuliers de s’imposer sur la scène internationale. Ces films, portés par une écriture forte et une mise en scène engagée, témoignent de la confiance qu’il accorde aux auteurs et de sa capacité à accompagner des projets exigeants dans la durée.

Cette approche repose sur une conception presque pédagogique du métier de producteur. Il s’agit d’aider les réalisateurs à structurer leur démarche, à naviguer dans les réseaux de financement et de diffusion, et à affirmer une identité artistique sans céder aux pressions normatives. La transmission, chez Hefzy, n’est pas un discours, mais une pratique concrète, inscrite dans des choix répétés et assumés.

Aujourd’hui, son parcours offre une grille de lecture essentielle pour comprendre les mutations du cinéma égyptien contemporain. Il incarne une génération qui refuse l’opposition stérile entre cinéma local et reconnaissance internationale, entre exigence artistique et viabilité économique. À travers son travail, Mohamed Hefzy démontre que le cinéma peut encore être un espace de pensée, de dialogue et de transformation symbolique.

Ce portrait n’est donc pas celui d’un homme célébré pour ses distinctions, mais celui d’un acteur central de la fabrique culturelle contemporaine. En honorant Mohamed Hefzy, la France reconnaît une trajectoire cohérente, patiemment construite, et la conviction que le cinéma reste un outil majeur de compréhension mutuelle entre les sociétés.

Rédaction : Bureau du Caire

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